Née dans une des familles les plus riches du monde, Sophie Desmarais raconte qu’elle a grandi sans affection dans un cadre somptueux, où le luxe et la démesure faisaient partie du quotidien. Elle décrit une enfance et une adolescence difficiles au cours de laquelle elle luttait contre les troubles alimentaires et faisait face au harcèlement, dans un témoignage qui fait la lumière sur cette période de sa vie, Tout pour être heureuse.
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Fille du milliardaire Paul Desmarais – le fondateur du puissant conglomérat Power Corp, l’adolescente Sophie Desmarais a été envoyée dans un pensionnat, en Suisse, où ont commencé, raconte-t-elle, les pires années de sa vie. Elle a été victime de harcèlement et de 14 à 18 ans, traverse des années de cauchemar où elle est gravement anorexique.
Après des années de bataille contre la maladie, cette femme est aujourd’hui marraine de la Fondation Jasmin Roy, qui lutte contre le harcèlement et s’engage auprès des plus démunis.
D’entrée de jeu, Sophie Desmarais précise que son livre n’est pas un désir de revanche, et encore moins de vengeance. Elle le voit plutôt comme un témoignage intime et touchant, et un désir de prendre la parole et parler enfin d’années qui ont été pour elle traumatisantes. Même si elle vivait dans le luxe et que ses parents donnaient des soirées fastueuses.
Témoigner de son vécu
En entrevue, Sophie Desmarais parle de son expérience de vie avec simplicité. Ce dont elle témoigne peut arriver dans tous les milieux : être rejetée, ne pas être considérée, ne pas recevoir d’amour, être aux prises avec des problèmes de santé mentale, avoir de la difficulté à trouver de l’aide.
« Une des raisons pour lesquelles j’ai voulu écrire le livre, c’était justement pour enlever cette façon de penser que les gens qui sont plus aisés, qui ont une belle maison ou un portefeuille différent des autres, échappent à des souffrances », commente-t-elle.
« Pour moi, c’était vraiment important et ça m’a pris beaucoup de temps, énormément de réflexion et d’encouragements de mon chum et de mes enfants, même si je n’ai pas vraiment partagé tout ce que j’avais de caché à l’intérieur de moi. »
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Le processus a été ardu. « C’était vraiment un exercice qui a été extrêmement difficile, psychologiquement et émotionnellement. Ça m’a pris beaucoup de temps avant de décider de le faire, même si je voulais le faire il y a bien longtemps. »
Cependant, elle ajoute qu’elle ne trouvait pas le courage. « J’étais dominée par la peur. La peur de dire les choses, la peur d’affronter des critiques ou quelque chose qui pourrait être néfaste ou faire du mal. Mais en fait, je réalise qu’aujourd’hui, j’espère être considérée, comme tous ceux et celles qui peuvent souffrir d’anorexie, ou de dépression, ou de pensées suicidaires. »
C’est sa première expérience d’écriture d’un livre. « Pour moi, c’était quelque chose de vraiment nouveau. C’est vrai que quand on commence à dévoiler des secrets, on se rend compte qu’on ne sait plus quand arrêter. J’approche mes 60 ans et Dieu sait qu’il y en a des secrets, au fil des années. »
S’impliquer et aider
Elle écrit sur ses expériences, ayant grandi ou vécu dans des pensionnats, privée de liens affectifs et d’encouragements. En travaillant de près avec la Fondation Jasmin Roy et en voyant tellement de gens souffrir de problèmes de santé mentale pendant la pandémie de Covid-19, elle s’est dit qu’il fallait qu’elle apporte son aide.
« Je ne sais pas si mon histoire peut aider. J’ai eu la chance d’être née dans la famille Desmarais, mais quelque part, je ne suis pas Lady Gaga, je ne suis pas une personne connue dans la société, dans le monde. Mais c’était important pour moi de faire connaître ma vérité au public. »
► En librairie le 29 septembre.
EXTRAITS
« J’ai vécu une grande partie de ma vie sans oser parler des années passées dans un pensionnat suisse lorsque j’étais adolescente, années qui m’ont tellement traumatisée que j’en suis restée longtemps malade. À cette époque, on ne parlait pas beaucoup d’anorexie et de problèmes de santé mentale, et pourtant, beaucoup de jeunes filles et de femmes adultes en meurent aujourd’hui.
Depuis, je suis extrêmement sensibilisée par les personnes qui en souffrent. Il fut même un temps où l’on cachait ceux qui en étaient atteints. Heureusement, de nos jours on les soigne, on les intègre dans notre vie, on s’adapte à eux et c’est un grand progrès. Eux-mêmes osent en parler plus librement, sachant qu’ils trouveront une meilleure écoute qu’autrefois.
Ayant vécu ce que j’ai vécu, je sais combien il est capital d’accorder de l’attention aux jeunes en souffrance car c’est de cette aide que dépendront leurs capacités à devenir adultes et donc leur avenir. Pour avoir souffert d’anorexie sans pouvoir en parler, le soulagement n’est arrivé que tardivement, lorsque j’ai pu me confier, il y a quelques années à peine.
Il ne m’a pas été facile de me livrer dans cet ouvrage ; j’ai dû retrouver le fil de ma mémoire pour remonter les années et me replonger dans ma vie d’adolescente, d’abord au sein de ma famille puis à la pension et à l’université. Bien sûr, j’évoquerai mes parents et l’on comprendra que mon éducation et la personnalité haute en couleurs de ma mère ne sont pas étrangères à certaines de mes fragilités. »
– Sophie Desmarais, Tout pour être heureuse, Éditions Michel Lafon
Les valeurs de mon père
« À l’adolescence, je ne connaissais pas l’ampleur de l’entreprise paternelle, tout simplement parce que, nous les filles, en avions été éloignées. Enfant, ma vie au quotidien était relativement normale, elle ressemblait à celle de beaucoup de jeunes de mon âge. Peu de vêtements de marque, pas de dépenses somptuaires nous concernant. Mon père tenait à nous apprendre la valeur de l’argent. “Tout se mérite, l’argent ne tombe pas du ciel” disait-il. Mes parents étaient philanthropes, généreux avec les autres mais, vis-à-vis de moi, un sou était un sou ! On nous a aussi appris à respecter les autres, à ne pas juger ceux qui n’ont pas reçu autant que nous. Des valeurs essentielles qui ne m’ont jamais quittée. Encore aujourd’hui, je remercie mes parents de mes les avoir transmises. »
– Sophie Desmarais, Tout pour être heureuse, Éditions Michel Lafon
« L'argent ne tombe pas du ciel »
« A l’adolescence, je ne connaissais pas l’ampleur de l’entreprise paternelle, tout simplement parce que, nous les filles, en avions été éloignées. Enfant, ma vie au quotidien était relativement normale, elle ressemblait à celle de beaucoup de jeunes de mon âge. Peu de vêtements de marque, pas de dépenses somptuaires nous concernant. Mon père tenait à nous apprendre la valeur de l’argent. « Tout se mérite, l’argent ne tombe pas du ciel » disait-il. Mes parents étaient philanthropes, généreux avec les autres mais, vis-à-vis de moi, un sou était un sou ! On nous a aussi appris à respecter les autres, à ne pas juger ceux qui n’ont pas reçu autant que nous. Des valeurs essentielles qui ne m’ont jamais quittée. Encore aujourd’hui, je remercie mes parents de mes les avoir transmises. »
Problèmes alimentaires et poutine
« Personne ne m’a jamais parlé de boulimie et d’anorexie, personne ne m’a appris les gestes pour me faire vomir, ils sont venus tout seul, avec mon mal- être.
Je ne sais pas comment cela est arrivé. Je ne saurais même pas décrire ce qui m’envahit au moment de la crise. J’ai cette image en tête : une bouée de sauvetage comme meilleure amie dans l’eau d’une piscine. Je plonge pour la repêcher et la serrer fort contre moi. Une fois que je me suis réconfortée, je peux la rejeter pour aller la rechercher quand je retomberai au plus profond de mon mal être. Avec la nourriture, une de mes plus grandes difficultés est de trouver l’endroit et le moment où je pourrai vomir sans me faire voir ou entendre.
Très vite, l’anorexie va devenir pour moi le seul « espace » que je maitrise, où je peux contrôler une partie de moi-même. Comme tous ceux qui souffrent de cette maladie, car c’en est une, je vais connaître mon corps de mieux en mieux, savoir précisément ce que je peux ingurgiter, régurgiter en gardant toujours un minimum de nourriture pour « fonctionner », pour ne pas m’évanouir et risquer d’attirer l’attention sur moi. C’est terrible à dire mais, à cette époque, ma maladie est la seule chose que je maîtrise.
(...)
Quoi qu’il en soit, mes problèmes alimentaires n’empêchent pas mes parents de faire honneur à leur fameuse « cabane a hot-dogs » ! Chaque année depuis que je suis toute petite, - et ce « rituel » se poursuivra très longtemps- lorsque nous nous rendons à La Malbaie, après avoir atterri à Québec, nous montons dans la voiture et, sur la route, le chauffeur s’arrête systématiquement à la fameuse cabane à hot-dogs. À l’aller comme au retour, jamais nous n’avons fait le chemin sans faire honneur à cet endroit, le préféré de mes parents. On trouve ce genre d’établissement un peu partout au Canada, où l’on vous sert des hot-dogs, des hamburgers, des œufs au vinaigre et la célèbre et incontournable « poutine » canadienne. On pourrait imaginer que mes parents fuient ce genre de lieu où la cuisine n’est pas des plus raffinées. Pas du tout, ils adorent ! Ma mère commande des hot-dogs, de la poutine pour tout le monde, sans oublier un œuf vinaigre en plus pour mon père. On emporte tout dans la voiture. Il faut la voir manger le premier hot-dog... puis le second ! Elle les dévore et ensuite se lèche les babines avant de s’attaquer aux frites, tout en se régalant d‘un Coca Cola diet... pour se donner bonne conscience !
Elle s’empiffre devant l’anorexique.
Je la regarde vaguement écœurée, l’estomac noué, ayant du mal à mâcher mon pain qui refuse de descendre dans mon gosier. La moitié du hot-dog me suffit et je me débarrasse discrètement du reste. »
Mort à 86 ans
« Jamais je ne remercierai assez mon père de m’avoir mise à l’abri des vicissitudes de la vie grâce à son travail et à sa générosité. Et, aussi, de m’avoir permis de poursuivre ses actions philanthropiques. Nous sommes passés l’un à côté de l’autre, on ne s’est pas souvent serré dans les bras, mais je lui suis reconnaissante de me permettre de vivre sans inquiétude par rapport aux lendemains. Je ne suis ni blasée, ni ingrate : chaque jour je mesure ma chance d’avoir eu un père comme le mien. Mon père est mort le 8 octobre 2013, à 86 ans, chez lui...
J’ai accompagné mon père jusqu’au dernier moment. Mes frères, ma sœur ainsi que mon fils étions tous dans sa chambre, ma mère allongée auprès de son mari, très affectée par ce qui arrivait. Elle avait beau s’y attendre depuis plusieurs jours, elle pleurait sans réaliser que son mari n’était plus. Le lendemain, dans la presse, sur toutes les chaînes de télévision on ne parlait que de la disparition de mon père. Nous étions comme anesthésiés en regardant ces images bouleversantes. »
Importance de parler de la santé mentale
« À la Fondation Jasmin Roy/Sophie Desmarais, tout ce qui est lié au mal-être, à l’anxiété, la dépression, les dépendances, les tentatives de suicide est au cœur de notre réflexion et de nos actions. Une priorité.
La santé mentale est un sujet qui intéresse de plus en plus et qui, au Canada et aux États-Unis, commence à être abordé par des personnalités du show business, de façon très intelligente et pédagogique. En évoquant leurs propres problèmes, elles invitent ceux dont le mental est en souffrance à le faire à leur tour et elles aident le public à se saisir de la question. Par exemple, la chanteuse et actrice Lady Gaga en parle de manière accessible et forte, elle permet à ceux qui sont atteints de problèmes psychologiques de s’identifier à son combat et de se dire qu’ils peuvent en guérir.
Encore taboue il y a dix ans, la question de la santé mentale est abordée aujourd’hui de manière plus décomplexée, les réseaux sociaux ayant grandement facilité la circulation des idées et des témoignages. Si le travail que nous accomplissons sur le harcèlement scolaire et toutes formes d’intimidation a permis à certains de parler publiquement en communiquant sur leur souffrance et, à d’autres, de progresser dans la compréhension du problème, j’en serais profondément heureuse. »
– Sophie Desmarais, Tout pour être heureuse, Éditions Michel Lafon
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