Le Musée national des beaux-arts du Québec ne l’annonce pas comme une rétrospective, mais son exposition Lemoyne. Hors jeu – avec 200 œuvres, une centaine d’archives et une scénographie soignée – est un hommage exemplaire à Serge Lemoyne, dont on mesure aujourd’hui la place qu’il occupe dans l’histoire de l’art québécois.
On a souvent décrit Serge Lemoyne comme inclassable. Un artiste hors jeu, comme l’indique le titre de l’expo. Serge Lemoyne ne collait en effet à aucune étiquette.
Avant-gardiste, l’homme d’Acton Vale partait dans toutes les directions. Mais pas n’importe comment. Il avait une grande maîtrise des techniques et connaissait son histoire de l’art par cœur. Sa liberté ne cadrait pas dans le système figé de l’art contemporain du début des années 1960 au Québec.
La société, encore très conservatrice, ne prisait guère ces jeunes qui donnaient des coups de pied dans les fourmilières et voulaient « déconstiper la bourgeoisie culturelle », disait Lemoyne.
L’exposition du MNBAQ est une réussite en cela qu’elle nous plonge dans un Serge Lemoyne attachant, qui avait soif de partage, de rencontres, de créations collectives. Un artiste de son temps, celui de la liberté arrachée, des rêves et d’une communion qui serait tout sauf solennelle. Un art dicté par la générosité, l’ouverture aux autres, le souhait d’élargir le public des arts visuels et de générer un art libérateur.
Une large part de l’expo est évidemment réservée à la série Bleu, blanc, rouge, l’image de marque de Lemoyne, qui estimait qu’elle représentait bien les Canadiens français et leur amour du hockey. « C’est notre culture, c’est notre histoire, disait-il en 1992. C’est le drapeau des Français et des Britanniques, c’est celui des États-Unis, qui ont aussi joué un rôle important dans notre histoire. Le bleu-blanc-rouge, c’est le rouge du Canada et c’est le bleu du Québec […] L’uniforme du Canadien est pour moi hautement symbolique. »
La section Bleu-blanc-rouge est impressionnante. On y rappelle l’origine de la série, soit une performance à London, en Ontario, en 1969, alors que Serge Lemoyne peint sur des panneaux avec un bâton de hockey. L’expo fournit des explications sur cette période majeure débutée en 1974, mais afin de profiter pleinement des œuvres, il est conseillé de lire auparavant le catalogue très complet publié pour l’occasion.
Cela dit, les amateurs de hockey aimeront jouer au hockey sur table devant la toile Dryden de 1975. Tout en étant filmés en direct durant la partie. Une belle initiative que cette ambiance de jeu qui colle tellement à l’esprit de Lemoyne.
La commissaire Eve-Lyne Beaudry a d’ailleurs obtenu un des fameux masques de Ken Dryden, jamais prêté à un musée. « Monsieur Dryden, qui a étudié l’histoire de l’art, a été très touché par la volonté de Serge Lemoyne d’amener vers les arts visuels des personnes qui ne s’y connaissaient pas, et ce, par l’intermédiaire du hockey », dit-elle.
Un espace expose des photos de l’évènement Slap Shot que Lemoyne a organisé en 1972 à Véhicule Art, haut lieu de l’art conceptuel à l’époque. Les visiteurs tentaient de marquer des buts dans un filet. Et défonçaient les murs ! Le tout était filmé, ce qui était assez innovateur. D’autres photos témoignent de Party d’étoiles, à la galerie Media, en 1973, un autre évènement qui cassait les codes des arts visuels. Les participants s’affrontaient au hockey sur table, sur des caisses muséales. Le trophée du concours, remporté par Serge Tousignant, est d’ailleurs exposé.
Quelle sensation délicieuse de voir également, pour la première fois ensemble, les huit grandes toiles de la série Noms. « C’était un beau défi de les réunir », dit Mme Beaudry. Elles ont été placées près des trois grands X de la série Intersection, qui évoquait notamment sa négation du conformisme.
Autres œuvres exposées
On peut aussi admirer les œuvres phosphorescentes de Lemoyne, à l’époque du groupe Zirmate, dans une salle éclairée avec une lumière noire. Ou encore ses immenses hommages triangulaires à ses pairs, avec des matériaux peints enveloppés et présentés comme des offrandes. « Il trouvait que les médias ne parlaient pas assez des artistes visuels québécois contrairement aux artistes du théâtre, alors c’était sa façon de les faire connaître », dit Eve-Lyne Beaudry.
La dernière partie de l’expo est impressionnante. Avec ses toiles recouvertes de patins à glace fournis par les résidants d’Acton Vale, les Hommage à Matisse, les Assemblages et les œuvres créées sur sa demeure ou avec des éléments de sa maison.
Le tout placé dans un environnement muséal élégant qui offre une multitude de perspectives. Soigné, le design de cette exposition est signé Jean Hazel et Marie-France Grondin. « C’est un travail d’équipe », insiste Eve-Lyne Beaudry.
Une exposition réussie où l’on constate combien Lemoyne, s’inspirant de son quotidien et de ses aspirations, a participé à la démocratisation des arts visuels et contribué à ouvrir la voie de l’effervescence artistique et du goût pour l’évènementiel que le Québec embrasse depuis les années 1970.
Il aura réussi à diffuser son art autant dans les musées, les galeries et les parcs que dans les bars, et à faire participer des jeunes qui jouaient aux fléchettes dans sa salle d’exposition ! Comme l’avait dit Jocelyne Lepage, ex-critique d’art de La Presse et amie de Serge Lemoyne, « il a consacré sa carrière à unir les artistes et les différents médiums pour sortir la culture de l’isolement et créer une force de frappe ». Ce qui est superbement montré dans cette grande exposition du MNBAQ.
Lemoyne. Hors jeu | Inclassable Serge Lemoyne | La Presse - La Presse
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