The Cosby Show, Good Times, Family Matters, Black-ish, Insecure, The Fresh Prince of Bel-Air, Atlanta ou In Living Color, la télé américaine propose des séries à la distribution entièrement noire depuis plusieurs décennies déjà.
Au Québec, où l’immigration n’a pas emprunté la même courbe qu’à Los Angeles, Chicago ou New York, la route vers la diversité a été plus tortueuse, mais elle a débouché sur des projets emballants comme Après le déluge de Noovo et maintenant Lakay Nou, la première comédie du diffuseur public portée entièrement par des acteurs afrodescendants.
Cet évènement a même fait sortir de sa tanière la PDG de CBC/Radio-Canada, Catherine Tait, qui a assisté à un visionnement public de Lakay Nou, mercredi soir, à la Maison d’Haïti, un organisme communautaire du quartier Saint-Michel, à Montréal.
De la grande visite de Toronto ! Il fallait donc réciter le mantra « Diversité, équité, inclusion » pour la faire apparaître.
Blague à part, Lakay Nou, qui signifie « chez nous » ou « notre maison », en créole, raconte le quotidien d’un couple québécois d’origine haïtienne, pris en sandwich entre deux générations qui vivent sur des planètes éloignées. Il y a les trois enfants de ce couple campé par Frédéric Pierre et Catherine Souffront, qui ont entre 10 et 20 ans et qui sont parfaitement intégrés à leur vie montréalaise, quitte à oublier où plongent leurs racines.
Et il y a les parents du couple, des immigrants plus conservateurs et fortement attachés à leur clan et à ses traditions, parfois lourdes et contraignantes.
Si Après le déluge explorait le côté sombre d’une frange de la communauté haïtienne (criminalité, pauvreté, exclusion, profilage), Lakay Nou l’observe avec des lunettes complètement différentes : celles de la comédie familiale amusante, sympathique et bon enfant.
Offert jeudi sur l’Extra d’ICI Tou.tv, puis en avril à la télé de Radio-Canada, Lakay Nou ne classe pas dans le rayon des sitcoms. On ne rit pas toutes les 30 secondes, mais on ne s’emmerde pas non plus. On pourrait même se permettre d’être plus incisif et irrévérencieux dans les textes, ce qui arrivera sûrement dans la deuxième saison de Lakay Nou, une fois que cet univers comique aura été bien installé.
Le couple de bobos au cœur de l’émission est moderne et attachant. Il s’agit d’Henri Honoré (Frédéric Pierre), un libraire qui a repris le commerce de livres usagés de son paternel, ainsi que Myrlande Prospère (Catherine Souffront), une procureure de la Couronne affectée à des dossiers peu palpitants.
Leurs trois enfants vibrent à des fréquences dissemblables. Malia (Kiara Gaudin), la plus jeune, est pétillante et baveuse, Jude (Stanley Exantus) est un ado nono, paresseux et accro à la célébrité instantanée, tandis que l’aînée, Judeline (Catherine-Audrey Volcy), est une intello hyper performante, étudiante en piano jazz à l’université et lesbienne, ce qu’elle cache à sa famille, plus traditionnelle que l’on pense.
L’humour arrive dans Lakay Nou principalement par les quatre grands-parents, toujours le nez fourré dans les affaires intimes d’Henri et Myrlande. Les parents de Myrlande, joués par Marcel Joseph et Yardly Kavanagh, sont des nouveaux riches, des snobs qui adorent flasher leur argent et porter des chapeaux extravagants. Ils sont formidables.
Plus autoritaires, les parents d’Henri, interprétés par Fayolle Jean Sr et Mireille Métellus, s’impliquent davantage dans leur église et s’inquiètent toujours de ce que les gens pensent et disent d’eux.
Richardson Zéphir incarne le personnage le plus drôle de Lakay Nou, soit le père Moïse, un pasteur qui sue abondamment quand il prend la parole en public.
De retour à l’histoire, racontée en français et en créole (avec des sous-titres, bien sûr), des changements de carrière sèment le chaos chez les Honoré-Prospère. Henri souhaite vendre la librairie familiale et ouvrir son propre resto de bouffe haïtienne. Myrlande accepte une offre lucrative de son ancien amoureux, le criminaliste Guillaume-Félix Tanguay-Boucher (Maxime de Cotret), qui dirige une grosse firme représentant des pétrolières et des mafieux.
Les textes de Lakay Nou ont été écrits par Frédéric Pierre, Catherine Souffront et Angelo Cadet, avec la collaboration de Marie-Hélène Lebeau-Taschereau (Virage) et la supervision de François Avard.
L’efficace Ricardo Trogi (Les mecs, La Maison-Bleue) s’installe derrière la caméra pour les dix demi-heures de Lakay Nou.
Oui, cette nouveauté radio-canadienne a été pensée, conçue, créée et réfléchie par des membres de la communauté haïtienne (Frédéric Pierre en est également le producteur). Ses thèmes brodés autour de la famille demeurent toutefois universels, peu importe la couleur de la peau des téléspectateurs qui la regardent.
Je mentirais en écrivant qu’il s’agit de la télésérie de l’année, la plus aboutie et la plus extraordinaire. Certaines répliques sonnent parfois plaquées. Ainsi, quand Henri parle de son resto « pour la communauté, dans la communauté et par la communauté », on croit plus ou moins en son engagement social.
Par contre, si vous êtes le moindrement curieux, vous allez y découvrir une culture vibrante, rythmée par le kompa et parfumée de griot et de bananes pesées. Non, ce n’est pas folklorique ni touristique, je vous rassure.
Et si jamais quelqu’un vous « tchipe » (un clic labial désapprobateur) à l’épicerie ou dans le métro, vous saurez comment réagir.
Lakay Nou | Haïti 5-0 ! | La Presse - La Presse
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