Mine de rien, le retour de Ringo Starr à la Place Bell, lundi soir, coïncidait avec le 60e anniversaire de sa première séance d’enregistrement avec les Beatles, en septembre 1962, un mois après que John Lennon lui a fait une offre formelle de se joindre à ce qui allait devenir le Fab Four. Et tout le monde sait que Ringo s’était joint aux Beatles pour une poignée de prestations à Hambourg avant son arrivée officielle au sein du groupe de Liverpool.
Mais si on parle de l’ensemble de la carrière, Richard Starkey compte cinq autres années au compteur, de 1957 à 1962, avec des groupes de jeunesse nommés Eddie Miles Band, Al Caldwell’s Texans et Rory Storm and the Hurricanes. Bref, 65 années de carrière pour notre Ringo favori.
Soixante-cinq ans? Non. Impossible. Pas quand on voit Ringo arriver sur scène en courant d’un pas vif et leste pendant que ses All-Starr jouent Matchbox, de Carl Perkins, à fond la caisse, que le batteur interprétait du temps de la Beatlemania.
Téléporté du passé
Avec sa taille mince, sa barbe et ses longs cheveux – teints, bien sûr –, le Britannique nous a donné l’impression d’être téléporté de l’année 1971, quand il a écrit, composé et enregistré avec George Harrison la splendide It Don’t Come Easy, qui a suivi Matchbox.
Après une reprise du temps des Beatles et un titre de sa discographie personnelle, Starr a sorti un sacré lapin de son chapeau, soit la seule composition Lennon-McCartney-Starr des Beatles. Ça m’a donné l’idée de demander à mes amis d’inverser les crédits, genre, Starr-Lennon-McCartney. Ils m’ont dit : … off!
N’empêche, l’interprétation de la rarissime What Goes On valait probablement à elle seule le prix du billet. Formidable entrée en matière.
Ringo Starr était notamment accompagné de Steve Lukather et de Warren Ham.
Photo : evenko / @TimSnowPhoto
À ce stade, on avait déjà compris que ce concert allait surpasser celui de 2015 au Théâtre St-Denis, où Ringo avait commencé la prestation derrière sa batterie. Hier, il a eu la bonne idée d’amorcer le concert à l’avant de la scène, uniquement au chant, cédant le travail aux peaux à l’ultracompétent Gregg Bissonnette. C’est ce qu’il fallait. La foule était immédiatement dans le coup. Et, à regarder le visage de Ringo, on comprenait que c’était ce qu’il voulait aussi.
Pour l’occasion, le batteur revenait avec une énième version de ses All-Starr depuis 1989, ce concept à géométrie variable où Ringo s’entoure d’amis musiciens qui, souvent, ont eu du succès individuellement ou au sein d’un groupe aujourd’hui disparu. Pour cette mouture, nous avions Bissonnette, Colin Hay (Men at Work), Steve Lukather (Toto) et Warren Ham (saxophone) que nous avions vu il y a sept ans, puis Edgar Winter (Edgar Winter Group) et Hamish Stuart (Average White Band) qui ont repris du service après des années de pause.
Le plaisir partagé
Ringo est heureux quand les spectateurs sont heureux, mais encore plus quand ses amis le sont. Et comme la plupart d’entre eux ont été dans leur jeunesse de meilleurs chanteurs que lui, cela permet des harmonies pas piquées des vers durant Rosanna (Toto), cette dernière ayant droit à une finale ponctuée de solos de saxophone (Ham), de claviers (Winter) et de guitare (Lukather).
Si vous m’aviez dit que j’allais entendre un jour sur scène Pick Up the Pieces, de Average White Band, qui a été un ver d’oreille en 1974, je ne l’aurais pas cru. Si vous avez plus de 45 ans, vous connaissez cette pièce instrumentale qui dégouline de funk. Si, si. Je vous jure. Googlez
pour l’entendre… Hamish Stuart a mené le navire à bon port pendant que Ringo et Bissonnette soutenaient la rythmique avec énergie, au point de s’offrir un court solo synchronisé.
Si le plaisir est partagé entre les membres qui s’introduisent les uns après les autres, ils alternent aussi les blocs musicaux : un trio ou un duo de chansons de Ringo, un bloc pour les copains, et ainsi de suite.
Le deuxième segment de Starr était du tonnerre. Boys, succès des Shirelles, repris par les Beatles sur leur premier long-jeu (pressage britannique) a presque explosé avec autant d’exubérance qu’en 1963 avec les potes de Ringo qui hurlaient les Bap-chou-wap, bap-bap-chou-wap!
d’usage, pendant que le batteur frappait ses tambours avec ses mains bien basses. Frappe nette et franche.
Retour à l’avant-scène pour I’m The Greatest. Si elle avait été interprétée dans le temps par son auteur (John Lennon), ça aurait pu sembler prétentieux, même si ce n'était pas loin de la vérité. Mais chantée par Ringo, c’est du pur plaisir au premier degré. Et du plaisir, les spectateurs en ont eu en faisant une vague de mains – fort à propos – durant Yellow Submarine.
Céder la place
À son âge, Ringo se permet la même manœuvre que Mick Jagger, quand ce dernier quitte la scène pour un duo de chansons interprétées par Keith Richards. Il est comme ça, l’éternel jeune homme de Liverpool. Il n’hésite pas à céder le plancher à ses amis, même si, parfois, il se fait en partie voler le spectacle, comme ça avait été le cas en 2001 au Centre Molson lorsque Roger Hodgson (Supertramp) et Greg Lake (Emerson Lake & Palmer) l’avaient battu, rayon décibels d’applaudissements.
Starr a donc permis à ses potes de s’éclater avec Cut the Cake (Average White Band) et Frankenstein. C’est là qu'Edgar Winter, instrumentiste extraordinaire, s’est déchaîné. Grand et solide comme un chêne, le sosie d’Armand Vaillancourt possède à 75 ans l’énergie et le grain de folie du Québécois. Dix minutes torrides au possible.
Ringo, toujours dans une forme impensable, revient ensuite à sa thématique maritime. Après le sous-marin jaune, c’est Octopus’s Garden, une des plus belles chansons des Beatles, toutes périodes confondues, nappée d’une mélodie imparable. Il reprend ensuite sa place derrière sa batterie durant Back Off Boogaloo, dont l’impact est aussi efficace que les paroles sont minimalistes.
Ringo sautillait comme s’il avait 22 ans pendant With A Little Help From My Friends.
Photo : evenko / @TimSnowPhoto
Est-ce qu’il y a des jeunes femmes dans la salle? Je vous dédie I Wanna Be Your Man… ainsi qu’à toutes les autres.
Voix impeccable, tempo à peine plus lent que la version d’antan des Beatles, c’est probablement la meilleure version jamais entendue en concert et ça mettait la table pour une interprétation fiévreuse et dynamique de Johnny B. Goode, menée tambour battant par Winter.
Comme ce fut le cas en 2015, les succès de Men At Work et de Toto ont fait mouche, quoique Colin Hay a perdu un peu de timbre et de puissance vocale, soit un peu plus que Steve Lukather, mais ils ont été admirablement soutenus par le saxophoniste et percussionniste Warren Ham. Cela dit, Who Can It Be Now et, surtout, Hold the Line, ont frappé fort.
Le Ringo emblématique
Ringo a pu compléter la soirée avec l’un de ses succès les plus emblématiques, Photograph, au moment où les spectateurs au parterre sont venus se masser au pied de la scène. La toujours bienfaisante Act Naturally a suivi.
La prochaine, si vous ne la connaissez pas, c’est que vous n’êtes pas à la bonne place et que vous attendez Led Zeppelin.
De l’humour british jusqu’au bout, une version impeccable de With A Little Help From My Friends durant laquelle Ringo sautillait comme s’il avait encore 22 ans et, Starr étant l’apôtre de la paix et de l’amour qu’il est, une finale avec Give Peace a Chance, de son pote John.
Avant le concert, je me disais que, logiquement, il s’agissait du dernier tour de piste de Ringo. En sortant de la Place Bell, je n’en étais plus sûr du tout. Une chose est certaine, à 82 ans, je veux être en forme comme lui.