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Friday, September 23, 2022

Documentaire | Ça s'est passé au 305 Bellechasse - La Presse

C’est un film sur une adresse. Un lieu. Une âme, aussi. Un espace unique de création qui n’est plus. Et sur le travail de tous ses ex-locataires.

Publié à 9h00
Silvia Galipeau
Silvia Galipeau La Presse

305 Bellechasse, premier long métrage documentaire signé Maxime-Claude L’Écuyer, se veut d’abord un prétexte pour parler d’art contemporain et du travail méconnu (mal connu ?) de ses artistes. Mais actualité oblige, et parce que la bâtisse a été vendue, les artistes évincés, et les locaux rénovés – une rénovation toujours en cours, au moment d’écrire ces lignes –, il porte aussi, quoiqu’un peu malgré lui, sur l’embourgeoisement et la précarité de la création. Nous y reviendrons.

« J’ai voulu faire une sorte d’instantané d’un moment où ce lieu était encore plein de vie », résume le réalisateur, rencontré à deux coins de rues de là cette semaine. « Parce que c’est beau : c’est un espace en mouvance, un espace de recherche, d’exploration […]. Un lieu où tout se passe ! »

Où tout se passait…

En salle ce vendredi, gagnant (ex æquo) du prix Pierre-et-Yolande-Perrault, le film tend le micro à une dizaine d’artistes (Marc Séguin, Sylvain Bouthillette, Jean-Benoît Pouliot, Christine Major, etc.), qui ont accepté il y a quelques années d’ouvrir les portes de cette adresse mythique (ancienne usine de pâtes Catelli, rachetée en 1948 par la famille Schiff pour en faire des ateliers de couture, reconvertie en ateliers d’artistes il y a 20 ans), sise entre le Mile End et la Petite Italie, pour y dévoiler l’envers de leurs toiles. Leur intimité, quelque part, en toute vulnérabilité.

Pensez : rythme de travail, horaires, motivation. Le pain et le beurre de la création, quoi. Sans oublier la musique d’ambiance de prédilection (du silence total au post-hardcore), ou l’art de trouver la fameuse inspiration.

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Image tirée de 305 Bellechasse

Précision : Maxime-Claude L’Écuyer, armé d’une caméra à l’épaule, et à l’aide de longs plans séquences, nous plonge donc dans les coulisses de ce repaire révolu, à travers les divers (et diversifiés) ateliers, sans jamais y montrer les créateurs, qu’on entend seulement se raconter, en voix hors champ. Parce que ce sont d’abord leurs œuvres qui sont à l’honneur. Et les murs, chargés d’histoire (plus de 400 ouvriers ont jadis œuvré ici, en témoignent les centaines d’aiguilles trouvées dans les craques du plancher !), qui les ont vues naître.

Entre les murs

Pour en revenir à l’inspiration, elle ne tombe pas du ciel, comprend-on au fil de ces deux heures quasi contemplatives de visite immersive. Elle est plutôt le fruit de longues heures, voire semaines de travail. Nicolas Grenier, pour ne pas le nommer, passe carrément des journées à mélanger une couleur. Si vous vous êtes toujours questionné sur le fameux « rituel de l’artiste », vous saurez tout. Démystification incluse.

C’est de la création dans le travail. La création ne se fait pas par intervention divine !

Maxime-Claude L’Écuyer, réalisateur

Parce qu’il vit dans le quartier, est un bon ami de plusieurs artistes, Maxime-Claude L’Écuyer s’est donc introduit entre ces fameux murs. Il y a notamment interrogé Marc Séguin, l’homme derrière la conversion des étages. Il faut l’entendre vendre le projet au propriétaire de l’époque (fin 1990). Si les locataires vont payer leurs ateliers ? « C’est la seule, la première chose qu’ils paient dans leur vie », une phrase qui en dit long sur le lien d’attachement des artistes à leur lieu de création (« la seule stabilité dans ma vie », « un peu ma maison », « c’est ici que je vote ! »).

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Image tirée de 305 Bellechasse

Plusieurs sont là depuis les débuts. Bercé par leurs paroles, le spectateur en vient presque à oublier le dénouement anticipé. Programmé. Parce qu’on le sait : le 305 Bellechasse a été vendu en 2018 à des promoteurs immobiliers, dont les pratiques en matière d’éviction et de rénovations agressives font d’ailleurs régulièrement les manchettes.

Brutalement, et presque sans transition (Maxime-Claude L’Écuyer avait presque fini son film quand la vente a été conclue !), nous arrivent des images de salles vides à l’écran. Exit les toiles, plus de pots de peinture ni le moindre pinceau : le contraste est violent. « Ça allait avec le concept du film : j’ai magnifié ces espaces que j’ai vus si vivants, tout d’un coup, morts… »

Certes, depuis, la plupart des artistes se sont relocalisés. Marc Séguin a lancé ses Ateliers 3333 sur le boulevard Crémazie. Sylvain Bouthillette et plusieurs ex du 305 Bellechasse se sont réunis aux Ateliers Casgrain. « Il reste que c’est de l’immobilier, et on ne se le cachera pas, les artistes n’ont pas les plus gros salaires, conclut notre réalisateur. C’est la fragilité de ces espaces qui est portée par mes images. » De son côté, il n’a qu’un souhait : « Je veux que les gens aillent voir de l’art contemporain. Et qu’ils s’intéressent aux artistes… »

En salle à Montréal (Cinémathèque québécoise et cinéma du Musée), à Sherbrooke (La Maison du cinéma) et à Québec (Cinéma Cartier)

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