Les trois théâtres de Québec mis à l'amende pour des cigarettes de sauge grillées sur scène feront appel d'un jugement interdisant de fumer lors d'une représentation, même lorsque le geste fait partie d'une œuvre théâtrale.
Après avoir fait le plein d'appuis dans dans leur communauté aux quatre coins de la province, les théâtres de la Bordée, du Trident et Premier Acte ont confirmé vendredi qu'ils feraient appel du jugement rendu la semaine dernière par la Cour du Québec. Le précédent est trop gros
, insiste Anne-Marie Olivier, directrice artistique au Théâtre du Trident.
Selon Mme Olivier, l'enjeu est désormais national. Tous les arts vivants
sont concernés, dit-elle, et non pas seulement le théâtre. Tout le monde a été conscientisé du précédent que ça créait. On sent qu'on n'est pas seuls
, se réjouit-elle à l'aube de ce nouveau chapitre.
Lors de leur première manche judiciaire, les trois théâtres espéraient soustraire le contenu artistique de certaines dispositions de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme. Entre 2017 et 2019, ils avaient tous été mis à l'amende par le ministère de la Santé parce que des cigarettes de sauge avaient été fumées sur les planches par des artistes.
Dans chaque cas, des inspecteurs avaient été dépêchés sur place après des plaintes au ministère, vraisemblablement de la part d'une personne du public.
Faisant front commun, les théâtres de Québec ont plaidé en première instance que l'acte de fumer une cigarette devait être protégé en vertu des chartes des droits et libertés, lesquelles garantissent la liberté d'expression artistique.
Or selon le juge Yannick Couture, le geste ne transmettrait aucun contenu expressif, message ou signification
, assimilant l'acte de fumer à une action purement physique et non artistique.
Par conséquent, le geste n’entre pas dans le champ d’application de la protection offerte
par les chartes. Le magistrat n'a ainsi reconnu aucune violation de la liberté artistique à travers l'application de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme.
Le juge a aussi suggéré aux créateurs d'utiliser des effets spéciaux ou des accessoires pour simuler le geste de fumer, plutôt que de s'adonner à une réelle combustion d'une cigarette, même sans tabac.
Les documents d'appel seront déposés dans les prochains jours, a fait savoir Mme Olivier. Les théâtres seront représentés par Me Louis-Philippe Lampron.
Appui de la ministre
Le milieu artistique pourra aussi compter sur l'appui de la ministre de la Culture, Nathalie Roy. Les représentants des théâtres et leurs avocats ont rencontré Mme Roy vendredi matin, rencontre au terme de laquelle le cabinet de la ministre s'est engagé à accompagner les artistes québécois.
La ministre souhaite défendre la liberté d'expression et de création des artistes. Nous allons donc voir de quelle façon on peut les accompagner dans leur démarche
, a indiqué son attachée de presse quelques instants après la réunion.
La semaine dernière, Mme Roy n'excluait pas une intervention gouvernementale afin de garantir la liberté de création.
Les théâtres ont maintenant la possibilité de poursuivre leur démarche en appel. Lorsqu'il y aura une décision finale, notre gouvernement prendra les moyens nécessaires pour protéger la liberté artistique
, avait-elle indiqué, sans préciser quelles interventions étaient possibles.
Rappelons que la Loi concernant la lutte contre le tabagisme ne fait aucune distinction dans le contenu d'une cigarette. Que ce soit de la sauge, de la laitue ou du tabac, tout ce qui est destiné à la combustion et roulé dans une cigarette est assimilé à un produit du tabac et est soumis à l'interdiction de fumer dans les lieux publics.
La loi ne prévoit aucune exception culturelle.
Tollé
La décision du juge Couture a causé un tollé quasi généralisé dans le milieu artistique. De nombreuses personnalités, dont les metteurs en scène Serge Denoncourt et René-Richard Cyr, ont pris la parole pour défendre la liberté de création.
Les deux ont insisté sur le danger que représentent les interdits en matière de liberté artistique. C'est pas la cigarette qui m'énerve, moi. C'est que quelqu'un, du haut de sa chaire, vienne me dire : "Ça, c'est un geste artistique et ça, ce n'en est pas un"
, a notamment déclaré M. Cyr. Une première interdiction vient d'arriver, demain, ce sera quoi?
Serge Denoncourt a quant à lui martelé que de nombreuses œuvres incluent l'acte de fumer dans ses textes ou des didascalies. Il a rappelé que des contrats de droit d'auteur obligent les metteurs en scène à respecter l'intégralité des œuvres. Il y a dans ce jugement un retour de la bien-pensance, de la morale petite-bourgeoise, de la pensée unique qui me fait frémir
, a-t-il écrit dans une lettre ouverte publiée dans La Presse.
L'Union des artistes, le Conseil québécois du théâtre et de nombreuses compagnies de théâtre ont aussi dénoncé la décision.
Se refusant à commenter le jugement, le ministère de la Santé a du moins expliqué qu'il était important de ne pas banaliser le tabagisme.
L'Institut national de santé publique du Québec a aussi rappelé que la loi visait non seulement à protéger la population, mais aussi les travailleurs, en plus de souligner que toute fumée secondaire, de tabac ou non, pouvait avoir des effets néfastes sur la santé.
Interdiction de fumer sur scène : les théâtres feront appel du jugement - Radio-Canada.ca
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