(Orlando) Drawn to Life, le tout nouveau spectacle permanent du Cirque du Soleil à Orlando, a pris enfin son envol jeudi. Récit d’une journée de première chargée de sens et compte rendu d’une soirée électrique et d’un spectacle réussi.
Le spectacle
« Intermission is over » – l’entracte est terminé : cette phrase, on pouvait la lire sur les t-shirts de nombreux employés et artistes du Cirque du Soleil jeudi. Et c’est celle que le PDG, Daniel Lamarre, a prononcée avec soulagement devant le public réuni pour la première du spectacle Drawn to Life, qui aurait dû avoir lieu il y a 20 mois, le 20 mars 2020. La fébrilité était palpable jeudi soir dans la salle remplie à craquer — et où le port du masque était parfaitement respecté. Après une amusante mise en bouche des clowns et les présentations officielles, Drawn to Life, résultat d’une collaboration entre le Cirque du Soleil et Disney, a donc enfin pris vie, et comblé les attentes qui étaient grandes, tant du côté des fans de cirque que de Disney.
Une jeune fille, Julie, doit créer une œuvre d’animation à partir de dessins laissés par son père. Hantée par un mauvais génie, elle devra trouver sa propre voie pour finalement prendre son envol. Un chemin qu’on la verra traverser d’un tableau à l’autre, à travers des numéros époustouflants, mais aussi poétiques, qui mettent chaque fois en relief l’origine de l’œuvre de Disney, ses personnages, sa musique — brillamment intégrée dans la partition originale de Benoit Jutras, interprétée par sept musiciens —, ses décors, ses classiques.
Tout le monde y passe, mais jamais de manière trop appuyée, du génie d’Aladin à Blanche-Neige, de Pinocchio à Donald le canard, en silhouette ou en dessin, l’univers de Disney est partout, parfois légèrement envahissant, mais surtout magnifié dans ce qu’il a de plus universel : son génie créatif, ses pionniers et pionnières qui influencent le parcours de Julie.
Numéros
L’une des forces de ce spectacle est vraiment l’arrimage entre l’acte de créer et le cirque — un crayon vivant, un mât chinois suspendu qui, manipulé par un acrobate, dessine des traits sur le plancher, ses détails « cartoonesques » et ses références foisonnantes (la forêt de Bambi en trois dimensions, projetée sur le rideau géant, Julie qui plonge dans sa table à dessin comme Alice au pays des merveilles) —, mais aussi bien sûr ses numéros époustouflants qui viennent illustrer l’état d’esprit de la jeune fille au fur à mesure que le spectacle avance.
De nombreux numéros nous laissent en fait sans voix et le cœur battant. Particulièrement la double roue, qui tourne comme les hélices d’un moulin et où les quatre acrobates qui incarnent les « vilains » prennent tous les risques, à l’intérieur comme à l’extérieur de leur cerceau, qui tourne aussi sur lui-même. Ou le numéro de main à main dans le style magie nouvelle, dans lequel les corps flottent au ralenti, comme des astronautes dans l’espace.
Une fois de plus, le Cirque du Soleil défie les lois de la physique, avec une précision et une technique qui vont au-delà de l’entendement. Et y ajoute pour une rare fois, ou en tout cas de manière vraiment palpable, une dose d’émotion, qui n’est certainement pas étrangère à l’univers de Disney et à la nostalgie qui y est associée.
Répétitions
En fin de matinée jeudi, c’était un peu le calme avant la tempête. Sur la nouvelle scène circulaire du théâtre permanent du Cirque, cinq artistes japonaises répètent un de leurs deux numéros d’unicycle. On les reverra plus tard pendant le spectacle voler au-dessus de la scène avec leurs grandes robes qui cachent leur appareil. Ou dans leurs robes légères, tournant sur elles-mêmes aussi rapidement que des patineuses. L’une d’elles saute aussi à la corde à danser avec une aisance sidérante – c’est d’ailleurs l’un des numéros qui recevront le plus d’applaudissements de la salle enthousiaste.
Pendant la répétition, au-dessus d’elles, deux acrobates russes s’entraînent sur une immense roue accrochée très haut, devant un fond blanc. Pendant le spectacle, des traits colorés seront créés en suivant leurs mouvements, et ces lignes courbes deviendront le carrosse de Cendrillon — un numéro à la fois poétique, spectaculaire et intelligent, comme le reste du spectacle.
Trouver Julie
Fil conducteur de l’histoire, Julie est incarnée par Miho Inaba. Née à Toronto d’une mère française et d’un père japonais, l’acrobate de 27 ans a étudié à l’École nationale de cirque de Montréal, et c’est là que le metteur en scène Michel Laprise l’a repérée. « Le casting cherchait à la grandeur de la planète, raconte-t-il. Un jour, j’assiste aux épreuves de synthèse à l’École, et arrive ce petit bout de femme. J’ai vu son numéro, elle avait déjà un tempérament d’artiste, une manière de bouger… J’ai dit à mon assistante : “Arrêtons de chercher partout, c’est elle.” »
À l’École nationale de cirque, Miho Inaba a fait du tissu aérien, du main à main, de la roue Cyr. Toutes ces disciplines lui servent pour ce rôle, explique-t-elle. Un peu de pression, à quelques heures de la première ? « J’avoue que mon sommeil était plus léger que d’habitude hier [mercredi], mais ce matin, je me suis réveillée, j’ai fait un peu de yoga, de danse dans ma salle d’entraînement… Après cette année, c’est surtout tellement un plaisir et une grande joie de partager et de sentir l’énergie du public. » Julie, elle, représente l’« enfant qui est en chacun de nous », dit son interprète. « C’est une belle histoire, et je vais essayer de l’honorer, de lui donner vie le mieux possible. »
Cinq ans
Le directeur de création, Fabrice Becker, travaille sur Drawn to Life depuis avril 2016. « C’est moi qui suis là depuis le plus longtemps. Michel est arrivé un mois plus tard, et le premier pitch à l’équipe de Disney s’est fait à Orlando en juillet 2016. C’est toute une épopée. » Assis dans le hall redessiné du théâtre qui a hébergé le spectacle La Nouba pendant 19 ans, quelques heures avant la première, Fabrice Becker savourait le moment et semblait plutôt calme. « On est dans une bonne zone et on est confiants. C’est un énorme accomplissement, et on pense à tous les gens qui ont participé à l’aventure et qui ne sont pas là ce soir, mais qui sont dans nos cœurs. C’est le moment de célébrer. »
En coulisse
Dans les loges, Eleni Uranis, qui a conçu tous les maquillages du spectacle, dessine le visage de David-Alexandre Després, l’un de quatre clowns qui font le liant entre les numéros, et qui représentent un peu les fantômes des pionniers de Disney. Partout en coulisse, toutes les personnes qui se croisent se souhaitent une bonne première, en anglais surtout, mais on entend vraiment du français partout. « C’est important pour moi de donner la priorité aux concepteurs québécois », explique le metteur en scène Michel Laprise. Derrière la scène et l’immense rideau « grand comme un terrain de football », conçu avec des panneaux mouvants permettant un effet en trois dimensions, les objets qui font partie du spectacle sont répartis un peu partout : des tables à dessin qui deviendront des éléments essentiels et récurrents — l’une se transforme même en cheval —, des toiles blanches qui n’ont l’air de rien, mais sur lesquelles seront projetés des croquis animés, une poubelle géante où se retrouveront les dessins ratés et chiffonnés de Julie, les immenses robes des unicyclistes suspendues au plafond. Chaque chose est à sa place et aura son utilité, chaque détail est soigné.
Au revoir
Vers midi, le metteur en scène Michel Laprise vient nous rejoindre chargé de sacs : ce sont des cadeaux qu’il vient d’acheter pour ses collaborateurs. Il a préparé un petit mot pour l’équipe, qu’il va réunir en début d’après-midi. « C’est une étape qui est franchie. Mais je n’aime pas l’expression couper le cordon. » En après-midi, il réglera des détails avec les clowns, fera des photos et des entrevues. « J’aime les journées de première, je savoure ça. Surtout que ça va super bien. » Vers la fin de l’après-midi — le spectacle est à 17 h 30 —, les invités commencent à arriver pour cette première attendue… depuis 20 mois. Le spectacle peut commencer.
Finale
Pour la première fois de l’histoire du Cirque du Soleil, le numéro final de Drawn to Life ne comporte que des femmes. Aux doubles balançoires russes, appareil dangereux et spectaculaire la plupart du temps réservé aux hommes, les guerrières-princesses qui n’ont peur de rien et se lancent dans les airs représentent un peu maintenant, beaucoup demain. Pendant ce temps, Julie, libérée de ses craintes, armée de l’héritage de son père dessinateur et confiante dans l’avenir, prend son envol, comme elles. Une touche féministe de force et de grâce, qui laisse le public sur une explosion de joie. Les artistes saluent, les techniciens, les concepteurs et les directeurs du Cirque et de Disney les rejoignent sur scène. Même de loin, on sent la chaleur et le soulagement dans les étreintes.
À cause de la petite pluie, le party d’après spectacle aura lieu à l’intérieur du House of Blues, en face du théâtre, mais ce n’est pas assez pour faire baisser la bonne humeur. Après 19 ans de La Nouba à Orlando, pas d’inquiétude : Drawn of Life a tout ce qu’il faut pour durer aussi longtemps… et même plus.
Les frais de transport et d’hébergement ont été assumés par le Cirque du Soleil.
Drawn to Life | La fin de l'entracte - La Presse
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