C’était trop beau pour être vrai. ICI Musique devait diffuser mercredi soir six textes inédits de Dédé Fortin interprétés en musique par des artistes d’aujourd’hui. Or, l’émission spéciale Dédé : des nouvelles de toi a été annulé quelques heures avant sa mise en ondes. Le véritable auteur des chansons est en fait l’un des premiers musiciens des Colocs.
Guy Lapointe ne comprend pas comment on a pu l’oublier. « Il y a eu négligence. Je ne sais pas comment, mais il y a eu négligence quelque part. » Le musicien – littéralement un des premiers colocataires d’André « Dédé » Fortin – a coécrit plusieurs succès du groupe.
Pourtant, Radio-Canada s’est affairée durant un an et demi à mettre en musique ses six textes trouvés par la famille du regretté chanteur. « [Ce sont] des textes de Dédé Fortin trouvés sur son ordinateur après sa mort », détaillait l’animateur François Lemay la veille de l’émission. « Même la famille présume. On pense que ça a été fait avec bonne foi. On ne saura jamais vraiment à quelle époque ça a été écrit. On pense que ça vient de début de sa carrière. »
Six chansons étaient donc fin prêtes pour être diffusées en grandes pompes mercredi soir : Dans la vie, L’an 2000, Les professions, À en crever, Maudite ride de bicyk et Marie-France. Mara Tremblay, Émile Bilodeau, Queen KA et Elkahna, Fanny Bloom, Sara Dufour, Antoine Gratton et d’anciens membres des Colocs ont participé à l’aventure.
Guy Lapointe ignore tout du projet jusqu’à ce qu’il reçoive l’appel d’un proche. « Un ami m’a envoyé un lien avec les titres de toutes les chansons. Je vois ça [mardi soir] à 23 h », raconte-t-il au Devoir encore abasourdi. « J’ai regardé… Mais ce n’est rien que mes tounes ! Six sur six ! À 23 h, la veille de l’émission. Je capote ! »
Il compile alors en catastrophe les preuves, les textes, les bandes originales et envoie le tout aux réalisateurs de l’émission durant la nuit. « C’est très documenté mon affaire », assure-t-il.
Mercredi après-midi, les communications de Radio-Canada publient un gazouillis : « Des questionnements sur la paternité des chansons diffusées dans l’émission Dédé : des nouvelles de toi nous obligent à reporter la diffusion. »
« Ils ne pouvaient absolument rien faire », explique Guy Lapointe. « On ne peut pas me dépouiller de ça. De toute façon, c’était faux ». Il assure n’avoir « jamais été contacté par qui que ce soit » dans cette affaire.
« On est surpris nous-même », concède au Devoir Émilie Brazeau-Béliveau des communications marketing pour la radio de Radio-Canada. Elle confirme avoir pris connaissance de ces informations le jour même de la diffusion de l’émission spéciale. « C’est vraiment la famille qui nous a cédé les droits. On a une licence en bonne et due forme. On apprend autant que vous. On est perplexe nous aussi. » Elle ajoute que des vérifications légales, notamment auprès de la SOCAN, sont en cours pour contre-vérifier les dires de Guy Lapointe. « On veut faire les choses dans les règles de l’art. »
L’ex-membre des Colocs renvoie aussi la balle à l’un des responsables de la succession d’André Fortin, Réal Fortin. « Je suis un peu désolé pour Réal, mais il aurait dû m’appeler. Je ne comprends pas. »
Réal Fortin a décliné notre demande d’entrevue.
Guy Lapointe précise qu’il avait auparavant averti ce frère d’André Fortin. « Il m’avait dit [il y a quelques années] avoir découvert plein de textes sur un ordinateur. J’ai dit : “Découvrir plein de textes sur l’ordinateur d’André… Fais attention. Il peut y avoir des affaires de lui, de moi, de d’autres personnes.” J’ai encore ce courriel où j’écris qu’il faudrait faire “un examen minutieux” si vous décidez d’utiliser le matériel là-dessus. »
Une écriture différente
Celui qui évolue aujourd’hui avec le groupe Kaléidoscope soutient que « ce n’était pas bien compliqué pour Radio-Canada » de vérifier ce qu’il affirme aujourd’hui.
Pour preuve, il énumère l’histoire de ces chansons prétendument « inédites » qu’il a déjà éditées dans le passé sous d’autres titres. « L’an 2000, c’est la chanson On avance pis on recule sur l’album J’ai vu. […] À en crever, c’est la chanson Chanter danser sur le premier album de Kaléidoscope. […] Dans la vie, c’est la chanson Internet de malheur ». Cette dernière a d’ailleurs fait l’objet d’un vidéoclip disponible sur la première page du site Internet du groupe de Guy Lapointe.
Il mentionne que les styles d’écritures pouvaient se ressembler entre lui et André Fortin. « Des fois j’écrivais comme lui, des fois il écrivait comme moi. On s’étudiait. » Mais il insiste pour dire que les paroles de Marie-France, par exemple, « n’ont aucun rapport avec le style d’André ».
« L’écriture, c’était plus mon fort, lui, c’était un bosseux », se souvient-il. « Moi, j’étais plus un intellectuel un peu universitaire, petit-bourgeois. André, il en arrachait, mais il travaillait fort en tabarnouche et comme il faut. »
Se sentant « dépouillé d’une partie de sa jeunesse », le musicien se dit ouvert à la diffusion de ces six chansons. « Je suis curieux. J’aimerais que vous trouviez les chansons aussi bonnes maintenant qu’on sait qu’elles viennent de moi. C’est le fun d’avoir deux musiques différentes pour une même chanson », lance-t-il en rigolant.
La représentante de Radio-Canada mentionne d’ailleurs que l’émission annulée n’est que « reportée ».
« Peut-être que les gens pourraient aller voir les tounes de Kaléidoscope aussi, de Guy Lapointe », suggère l’artiste.
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ICI Musique annule in extremis une émission spéciale sur Dédé Fortin - Le Devoir
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