Samedi soir à Cannes, peu après le coup de 20 h, heure locale, Spike Lee, qui présidait le jury du Festival, a mis fin au suspense et a révélé – un peu plus tôt que prévu – le nom de la gagnante de l'un des prix les plus prestigieux de l'industrie cinématographique, la Palme d'or. Il s'agit de la réalisatrice française Julia Ducournau, pour son film Titane.
Julia Ducournau est ainsi la deuxième femme à décrocher la Palme d'or, 28 ans après Jane Campion (La leçon de piano). Le président du jury en a fait l'annonce par erreur au début de la cérémonie de remise des prix, prenant de court l'équipe qui organisait le festival, au moment où il était censé annoncer le prix d'interprétation masculine.
Titane raconte l'histoire de Vincent, un pompier interprété par Vincent Lindon qui, après une série de crimes inexpliqués, retrouve son fils, disparu depuis 10 ans, ramené par les inspecteurs de la douane d'un aéroport.
Visiblement émue, la réalisatrice française est montée sur scène avec l'acteur pour livrer un long discours de remerciement.
Je voulais remercier infiniment le jury de reconnaître avec ce prix le besoin avide et viscéral qu'on a d'un monde plus inclusif et plus fluide.
Quand j'étais petite, c'était un rituel pour nous de regarder la cérémonie de clôture [du Festival de Cannes] à la télé avec mes parents. À cette époque, j'étais sûre que tous les films primés devaient être parfaits, puisqu'ils avaient l'honneur d'être sur cette scène. Et ce soir, je suis sur cette scène et je sais que mon film n'est pas parfait
, a-t-elle affirmé.
[Mais] la perfection n'est pas une chimère, c'est une impasse. Et la monstruosité qui fait peur à certains et qui traverse mon travail, c'est une arme et c'est une force pour repousser les murs de la normativité qui nous enferment et qui nous séparent.
Une cinéaste fascinée par les transformations du corps
Julia Ducournau est une cinéaste singulière et audacieuse, fascinée par les transformations du corps, dont le cinéma transgressif est empreint de féminisme.
Avant Titane, le film le plus violent et dérangeant de la compétition, cette femme de 37 ans avait déjà fait sensation au Festival de Cannes en 2016 avec son premier long métrage, Grave, récit d'apprentissage d'une jeune adulte cannibale, une œuvre qui revisite le style d'horreur.
Un de mes buts a toujours été d'amener le cinéma de genre ou des films "ovniesques" dans des festivals généralistes pour arrêter d'ostraciser un pan de la production française, a déclaré Julia Ducournau à l'Agence France-Presse. Le genre permet aussi de parler de l'individu et très profondément de nos peurs et de nos désirs.
Grave avait été interdit aux moins de 16 ans et suscité le malaise lors de sa diffusion au Festival de Cannes, en raison de la crudité de certaines scènes sanglantes – épilation se terminant par la dégustation d'un doigt ou corps à moitié mangé découvert au réveil.
Rien de tel avec Titane malgré des scènes qui restent en mémoire, comme une automutilation du visage par l'héroïne qui tente de se rendre méconnaissable, des scènes de sexe avec des voitures ou encore une série de meurtres spectaculaires.
Un vent de fraîcheur
Les prix d'interprétation masculine et féminine sont eux aussi allés à deux trentenaires. Côté féminin, c'est la Norvégienne Renate Reinsve, 33 ans, qui l'emporte pour sa performance dans Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier, dans lequel elle incarne une jeune femme en quête d'elle-même.
Côté masculin, le jury a couronné un Américain, Caleb Landry Jones, 31 ans, pour sa performance dans Nitram, où il incarne un jeune homme qui s'apprête à commettre l'une des pires tueries de l'histoire de l'Australie. Le film offre une plongée dans la tête du tueur, qu'il incarne magistralement : Martin Bryant, condamné à perpétuité.
Plus largement, à l'image d'une industrie travaillée par les évolutions sociétales, les films cannois, dans la compétition et au-delà, ont fait souffler un vent frais sur le Festival : malgré seulement quatre réalisatrices en compétition, le féminisme y était omniprésent. Des réalisateurs s'en sont emparés, et les relations lesbiennes, par exemple, y ont désormais toute leur place.
La soirée a aussi été l'occasion de remettre une Palme d'or d'honneur au cinéaste italien Marco Bellocchio qui, après cinq décennies de carrière engagée, n'épargnant ni l'armée ni la religion, a présenté un documentaire très personnel, Marx peut attendre.
La Queer Palm remise à Catherine Corsini
Créée en 2010 par le journaliste Franck Finance-Madureira, la Queer Palm récompense chaque année à Cannes un film traitant des thématiques LGBT+, queer ou féministe parmi toutes les sélections cannoises. Cette année, le prix a été décerné au film La fracture, de la réalisatrice française Catherine Corsini.
Le film, qui met en vedette Valeria Bruni Tedeschi, Marina Foïs et Pio Marmaï, suit l'histoire de Rafaela et Julie, dont le couple est au bord de la rupture. Lorsque Rafaela se fracture un bras, les deux femmes se retrouvent aux urgences. Leur rencontre avec Yann, blessé dans une manifestation de gilets jaunes, remet en question les certitudes et les préjugés des trois protagonistes.
Rappelons qu'en 2012, c'est Xavier Dolan qui avait remporté ce prix pour Laurence Anyways. Le jeune réalisateur avait toutefois refusé cet honneur, la percevant comme un marqueur d'exclusion.
Un premier film égyptien primé
Le film Feathers, du réalisateur égyptien Omar El Zohairi, a remporté plus tôt cette semaine le prix de la Semaine de la critique, l'une des sections parallèles du Festival de Cannes. Comme le rapporte Le Figaro, le long métrage raconte comment une femme soumise doit assumer le rôle de cheffe de la famille après la transformation de son mari en poule.
Et vendredi, on apprenait que la réalisatrice russe Kira Kovalenko avait remporté le Grand Prix dans la section Un certain regard pour son film Unclenching the Fists, un drame qui suit l'histoire d'Ada, une jeune femme qui tente de se libérer de l'emprise de sa famille dans la petite ville de Mizur, en Ossétie du Nord-Alanie, une république de Russie.
La Palme d'or décernée à Titane , de la réalisatrice française Julia Ducournau - Radio-Canada.ca
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