Plus de 150 artistes et artisans de la musique appellent les lauréats qui monteront sur scène dimanche soir lors du gala de l’ADISQ à faire preuve de solidarité dans leur discours afin qu’ils portent la voix des autoproducteurs. Ces créateurs financent et gèrent eux-mêmes leurs enregistrements musicaux en dehors du réseau de maisons de disques.
Dans une lettre adressée aux nommés, les signataires déplorent que les membres de l’ADISQ qui ont choisi l’autoproduction soient tenus à l’écart du conseil d’administration et privés de vote lors des assemblées générales.
« Avec le gala, on célèbre le monde de la production, mais on tasse l’autoproduction alors que c’est rendu largement majoritaire », explique en entrevue avec La Presse Guillaume Déziel, ancien agent de Misteur Valaire et l’un des instigateurs de la missive. « Il y a un malaise ambiant ; il y a une réalité qui a changé, mais le système par lequel on gouverne ne tient pas compte de cette réalité-là. C’est problématique. »
La situation actuelle « permet de maintenir un modèle industriel canalisant une grande partie de notre argent public d’abord vers ses membres producteurs et non vers des artistes qui crèvent de faim », avertissent notamment les artistes signataires Daniel Boucher, Pierre-Philippe Côté (Pilou), Safia Nolin, Alexe Gaudreault, Sébastien Fréchette (Biz), Stefie Shock, Catherine Major, Joe Bocan, Steve Hill, Luis Clavis, Chloé Sainte-Marie et Philémon Cimon.
La présidente de l’Union des artistes, Tania Kontoyanni, son vice-président, Pierre-Luc Brillant, et l’ex-ministre de la Culture et des Communications Christine St-Pierre joignent aussi leur voix.
Au Québec, plus de 80 % des producteurs seraient des artistes-entrepreneurs.
La lettre ouverte, publiée sous le titre « Le tapis rouge de l’asservissement » dans Le Devoir samedi et consultée par La Presse jeudi dernier, se veut un appel à l’action de la part des récipiendaires qui empoigneront une statuette dorée dimanche soir. « Si tu as la chance de te retrouver face à un micro nostalgique de prise de parole, n’hésite pas à revendiquer devant un million de téléspectateurs que les artistes-entrepreneurs membres de l’ADISQ devraient, eux aussi, avoir le droit de voter et de gouverner pour prendre part à la destinée de notre industrie musicale. »
En raison de la « mainmise de l’ADISQ sur une bonne part des subventions de l’État », les artistes sont souvent contraints de signer avec un producteur « reconnu » et d’abandonner de « précieux droits », déplorent en outre les signataires.
La missive souligne que deux administrateurs de l’ADISQ — qui reçoivent des subventions — sont aussi membres du conseil d’administration de la SODEC — qui octroie ces mêmes subventions. Aucun artiste autoproducteur en musique n’y siège. Les décideurs « s’assurent ainsi que les producteurs demeurent d’incontournables intermédiaires entre toi et le public ; que, sans eux, tu ne puisses pas avoir accès aux subventions destinées à l’accélération de ta carrière », peut-on lire.
« Pouvoir choisir »
En entrevue avec La Presse, Dominique Lebeau, qui autoproduit ses albums solos sous le nom de domlebo depuis son départ des Cowboys Fringants en 2007, souligne à regret que David Bussières, porte-parole du Regroupement des artisans de la musique, soit le seul artiste — et autoproducteur — parmi les seize membres de la Commission de la musique et du spectacle de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC). Les commissions doivent être consultées pour tout projet de programmes d’aide financière dans leur domaine.
Il faut dire aux artistes : « Attention, tu joues une game plate pour les gens qui travaillent dans l’industrie. Peut-être qu’on devrait être mieux représenté et avoir plus d’espace si on veut collaborer avec ces gens-là… »
Dominique Lebeau
La SODEC a récemment réservé une enveloppe d’aide d’un million par année aux autoproducteurs, mais ceux-ci doivent être « incorporés » pour en bénéficier, ce qui disqualifie environ quatre artistes-entrepreneurs sur cinq.
Guillaume Déziel insiste : il n’est pas question de faire la guerre à la SODEC ou à l’ADISQ, « L’objectif, c’est que les deux univers, la production et l’autoproduction, puissent cohabiter. »
« C’est comme si on organisait une table sur le marché du travail avec les employeurs et les salariés, mais en excluant les travailleurs autonomes » rebondit l’auteur et rappeur Biz, qui a apposé son nom au bas de la lettre.
Sébastien Fréchette, de son vrai nom, rappelle que le premier album de Loco Locass, Manifestif, ainsi que tous ses spectacles étaient autoproduits. « De plus en plus, les artistes se rendent comptent qu’ils font le gâteau, mais qu’ils n’ont pas la plus grosse pointe. »
Biz assure que Loco Locass a été bien servi par Audiogram, mais il précise que « ce ne sont pas toutes les maisons de disque qui ont cette éthique et cette qualité-là », d’où l’envie de se montrer solidaire envers les autoproducteurs. « Et à un moment donné, tu te demandes : veux-tu être matelot dans un paquebot ou capitaine de ta barque ? »
La démocratisation des moyens de production a induit une prise de pouvoir, observe-t-il : « J’ai le droit d’exister, j’ai le droit d’être reconnu, j’ai le droit d’avoir des subventions. »
L’autrice-interprète Joe Bocan, jointe par La Presse, explique avoir connu toutes les embûches de l’autoproduction et de la coproduction, notamment lorsqu’elle préparait un album pour enfants. « Ils trouvaient toujours une bonne raison pour ne pas le subventionner. J’ai dû tout faire moi-même avec zéro sou. »
Selon elle, le musèlement des autoproducteurs dans la gouvernance de l’ADISQ est un symptôme d’iniquités structurelles beaucoup plus larges dans l’industrie de la musique. « Il y a un immense travail à faire, tout le mécanisme est à changer », dit-elle.
Gala de l'ADISQ | Des artistes n'ont pas le cœur à la fête - La Presse
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