Il y a de vraies dynasties dans le monde du cinéma. Chiara Mastroianni, la maîtresse de cérémonie cannoise, officiait au Palais des festivals sous un portrait de sa mère, Catherine Deneuve, sur l’affiche de l’année. On la vit d’ailleurs rendre hommage à cette maman, qui monta presto sur scène.
L’actrice de Belle de jour précisa penser beaucoup à l’Ukraine avant de déclarer ouvert le 76e Festival de Cannes. Quant à l’Américain Michael Douglas, il reçut sa Palme d’honneur en honorant son propre père, Kirk, vrai monument du septième art. La famille, c’est sacré.
Avant la cérémonie, on avait eu droit à un tapis rouge bien garni, tout le gratin des stars de France, d’Hollywood et d’ailleurs ayant défilé. Le Québécois Xavier Dolan monta les marches lui aussi. Il a ses habitudes au Palais. Mais les lumières allaient bientôt s’éteindre à la joie des uns, au malaise des autres.
Le film d’ouverture, Jeanne du Barry, de Maïwenn, se voyait précédé d’une aura de scandale. En soutien aux coups de gueule d’Adèle Haenel, près de 125 actrices françaises ont rédigé une missive publiée mardi dans Libération qui dénonce les choix politiques du Festival de Cannes, déclaré complice des agresseurs de tous poils.
Les signataires en ont aussi contre Jeanne du Barry. La volcanique Maïwenn, qui tient aussi le rôle-titre, est une femme aux antipodes des valeurs du jour. Son acteur, l’Américain Johnny Depp, qui incarne Louis XV, l’est plus encore. Tous deux trimballent sur la Croisette leurs mauvaises réputations, lui pour ses déboires conjugaux étalés dans un procès très médiatisé déclenché par sa dernière épouse, elle pour sa violence envers un journaliste. Retour en majesté pour l’acteur déchu d’Hollywood à la faveur d’un film français ? Pas sûr. Face aux caméras, Thierry Frémaux, le délégué général du festival, qui prise son talent, lui a fait l’accolade. Assez pour en irriter plusieurs.
Le faste des époques
Cannes n’est pas Versailles, mais les deux institutions ont dû faire face à leur époque. La Révolution française coupa le cou des aristocrates et sonna le glas de la monarchie. Aujourd’hui, les mutations de moeurs ébranlent les vieilles complaisances envers les rois de l’écran. Le film donnait l’occasion de comparer le faste français sur deux époques. Les célébrités en tenue de soirée évoquaient soudain les élégances de la galerie des Glaces, où plusieurs scènes ont été tournées.
La cinéaste s’identifiait au destin en dents de scie de la comtesse du Barry, née roturière, devenue courtisane. Maïwenn avait été actrice à 6 ans, en couple avec Luc Besson à 16 ans. En rupture de famille, elle connut une vie orageuse, du gouffre à la lumière.
Son film est de facture classique, sur fond de splendeurs de palais. Une première pour la cinéaste de Polisse, habituée à livrer des oeuvres sociales ou intimistes coups-de-poing contemporaines. Si la violence est encore au menu, c’est cette fois au rayon de la perfidie et de la jalousie exacerbée plutôt que physiquement. Car la Cour ne fera pas de quartier à l’insolente favorite dont le roi s’est épris. Derrière leurs éventails, les filles du roi complotent avec les courtisans la chute de cette intrigante. Des années plus tard, elle sera guillotinée, à l’instar de Louis XVI et de Marie-Antoinette, sans que ces scènes sanglantes soient à l’écran. Ainsi passe la gloire du monde.
Acteur et cinéaste se seraient affrontés, dit-on, sur le plateau. Johnny Depp avait des caprices de star américaine, également une vision historique de son personnage, que Maïwenn cherchait à charger de fiction. Auquel des deux doit-on les choix finaux ? On l’ignore. « C’est une grande réalisatrice aux choix très cohérents », déclara Johnny Depp avec grâce sur le tapis rouge.
Oeuvre en costumes réussie, avec des éclairages aux chandelles à la Barry Lyndon de Kubrick, sans la charge ironique du Ridicule de Patrice Leconte, presque sage, souvent tournée en intérieur, très maîtrisée à l’image, Jeanne du Barry est un morceau sinon de roi, du moins de prince. Les moeurs de Versailles, cruelles et absurdes, impressionnent toujours.
L’actrice à tempérament était faite pour ce rôle d’amante royale crâneuse et passionnée. Quant à Johnny Depp, son accent américain est peu perceptible en français. Il ne choque guère au bout du compte, même si des sensibilités hexagonales se sentaient, dès sa sélection d’acteur, outragées par le choix d’un Américain en monarque français. Quoi qu’il en soit, son charisme demeure intact et il défend son personnage avec charme et conviction. Le jeune dauphin et futur Louis XVI se voit incarné par le propre fils de Maïwenn, Diego Le Fur, plus élégant physiquement que son modèle.
Pierre Richard, Louis Garrel et Melvil Poupaud héritent de rôles de soutien convaincants. Le film, sorti en France dans la foulée, devrait plaire au public, à moins que la polémique n’enfle et ne crée l’embâcle. Reste que l’oeuvre, projetée ici hors compétition, devrait s’en tirer honorablement. Là n’est pas la question, diront ses détracteurs.
Odile Tremblay est l’invitée
du Festival de Cannes.
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Un tapis rouge déchiré par Johnny Depp pour l’ouverture du 76e Festival de Cannes - Le Devoir
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