Quand Martin Scorsese, Robert de Niro et Leonardo DiCaprio se profilent sur la Croisette en trio d’as, ça crée forcément l’événement. Les badauds criaient samedi et les cinéphiles se ruaient au Palais sur Killers of the Flower Moon, jouant du coude dans les files d’attente sous la cohue des parapluies. Pour la première fois, le cinéaste de Gangs of New York réunissait ses deux acteurs fétiches à l’écran, remontant le cours symbolique de sa fructueuse carrière, avec des accents testamentaires.
Rappelons que Scorsese avait reçu ici la Palme d’or pour Taxi Driver en 1976 ainsi que le prix de mise en scène dix ans plus tard pour After Hours. Il présidait le jury en 1998, mais ne lançait plus de film sur La Croisette. Le mythique cinéaste américain se faisait désirer. Cette année, il voulait donner un coup de pouce à Cannes, bastion du grand écran davantage qu’ailleurs. À l’instar d’Almodovar qui présentait son western au début du festival, c’est la première fois que « Marty » touchait à ce genre iconique américain.
Adapté du roman historiquement fouillé de David Grant dont DiCaprio avait suggéré la lecture au cinéaste, ce film était présenté hors compétition selon le désir de Scorsese. Cette oeuvre manifeste s’inscrit dans la reconnaissance actuelle des crimes subis par les premiers habitants du pays. Scorsese n’a jamais fini d’explorer l’ADN américain tissé de violence et de cupidité. Il y plonge de nouveau avec sa dextérité légendaire, des images saisissantes, un amour de la population autochtone mis en scène.
Il y a une centaine d’années, l’histoire tragique évoque celle de la tribu Osage en Oklahoma, dont les membres se faisaient exécuter de sang froid ou lentement empoisonner après que du pétrole ait été découvert sur leurs terres. Ils avaient touché le pactole et se pavanaient dans des villas en dépensant leurs billets. Des Blancs véreux et desperados divers accouraient pour profiter du magot, jouer du colt ou épouser leurs femmes à des fins d’héritage. Des enquêtes furent menées bien tardivement afin de coffrer des coupables.
Ici un faux ami des Osage, mécène, roi de la place et sinistre crapule, Robert de Niro, au sommet de sa forme, a tout d’un vieux parrain d’époque sans foi ni loi. Ça prenait Scorsese pour diriger avec autant de force l’interprète de Taxi Driver. Leonardo DiCaprio est formidable également, mais moins charismatique que son vis-à-vis en neveu du King qui exécute ses sales besognes sans se savoir manipulé. Lily Gladstone incarne avec plus d’apathie son épouse autochtone Molly, amoureuse et abusée.
Killers of the Flower Moon est hanté autant par la férocité des cowboys que par la poésie des traditions autochtones mises en scène. On sent passer sur lui le souffle du grand film. D’une durée de 3 h 26, hélas ! Le cinéaste étire pourtant sa sauce en fin de partie à travers de moins fécondes scènes de procès. Mais avec ses immenses qualités, on lui prédit de grands succès d’audience
Western, donc, mais déjà moderne. Les Ford modèle T et autres véhicules ont remplacé les chevaux d’antan. Aux actualités cinématographiques, la population regarde les villes des Noirs se faire dévaster. Le XXe siècle poursuit à sa manière le travail génocidaire sur les Premiers Peuples démarré en amont. John Edgar Hoover à la tête du FBI, va s’impliquer dans l’Affaire des Osage comme chef du FBI destiné à marquer son siècle. Qui voulait vraiment venger des autochtones, conscients eux-mêmes d’être au bord du gouffre ? Coffrer quelques truands pour calmer les esprits suffisait en haut lieu…
C’est sur une mécanique brillante que s’appuie Scorsese pour camper son film dans ce désert de nouveaux enrichis, de luxueuses demeures et de cérémonies autochtones aussi mystérieuses qu’envoûtantes, ainsi que la brutalité omniprésente. Certaines images de chouettes annonçant la mort aux femmes Osage flirtent avec le réalisme magique. Des terres de pétrole incendiées derrière des silhouettes humaines presque en ombres chinoises éblouissent. Les univers blanc et autochtone se marient ici avec ardeur et incompréhension, sous l’appât du gain des uns, les détresses des autres, également l’amour né de ces mariages d’intérêt. Chant crépusculaire, Killers of The Flower Moon éclaire du même souffle les iniquités contemporaines, tant la culture de l’assassinat et du racisme persiste à fleurir chez les Voisins du Sud.
Grand connaisseur de musique populaire américaine, Scorsese et le compositeur canadien Robbie Robertson, ancien guitariste du groupe The Band, nous servent une trame d’anthologie dans laquelle le vieux blues, la musique folk, les « work songs » et des chants autochtones syncopés accompagnent une oeuvre d’époque tour à tour sanglante, sentimentale et mémorielle. Ce western aux décors et costumes esthétisés, mais saisissants, verse aussi dans le thriller psychologique. Par-dessus tout, ce cri de dénonciation résonne de façon intime à travers l’engagement du cinéaste, qui appuie il est vrai bien fort son message à la toute fin de son oeuvre.
Odile Tremblay est l’invitée du Festival de Cannes.
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«Killers of The Flower Moon», le souffle du grand film - Le Devoir
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