Salvatore Adamo porte des espadrilles blanches « de jeune », mais accueille chaque concert avec gratitude – « parce que je sais que le prochain fait davantage partie de mes derniers que de mes premiers ». Entretien avec une légende qui ne tient rien pour acquis, de passage au Québec pour une dizaine de dates.
Si deux options se présentent à celui qui a survécu à l’épreuve, s’enfermer dans le pessimisme anxieux ou accueillir chaque nouvelle minute comme un cadeau, Salvatore Adamo appartient indéniablement à la deuxième catégorie.
« J’ai mis mes baskets blanches, parce que chaque fois que je les porte, on me dit que je fais jeune », blague-t-il en nous accueillant lundi après-midi au 21e étage du Reine Elizabeth. Jeune à jamais ? C’est le titre de sa relecture de Forever Young d’Alphaville, moment surprenant de In French Please !, son plus récent album d’adaptations françaises de tubes anglos, réalisé par Stephan Eicher.
Merci, monsieur Adamo, de prendre le temps de nous rencontrer. « Merci à vous de prendre le temps de venir à ma rencontre », répond le chanteur italo-belge, en appuyant sur le « à vous », comme si l’avenir de sa carrière dépendait de cette entrevue. « Je ne vais pas sortir la brosse à luire, mais les médias font partie de notre succès. Vous l’entretenez. »
Ce qui pourrait passer chez quelqu’un d’autre pour de la politesse, voire de la flagornerie, a sans doute à voir avec les origines modestes de l’homme de 79 ans assis devant nous, celui qui, même dans un hôtel de luxe, demeure le fils de Concetta et Antonino, des immigrants italiens.
À 20 ans, lorsque Salvatore Adamo attendrit les cœurs de la Francophonie grâce à Sans toi ma mie, c’est à toute sa famille qu’il permet de migrer de classe sociale. « J’ai soudainement basculé d’un monde à un autre, raconte-t-il avant de paraphraser Coluche, mais je ne suis pas devenu un nouveau riche, je suis resté un ancien pauvre. »
Le privilège de la maladie
À l’instar de sa mère qui, même après que son fils lui a permis de respirer plus à l’aise, « remplissait la cave de pâtes et d’huile dès qu’il y avait un solde au supermarché », Adamo a continué d’être non pas économe, mais investi de la conscience que son destin tenait au moins en partie à la chance.
« Et puis il faut dire que j’ai été privilégié, parce que j’ai beaucoup donné dans la maladie, et dès ma tendre enfance », ajoute-t-il, une phrase étonnante.
Privilégié d’avoir été malade ? À 7 ans, le jeune Salvatore a été frappé par une méningite, puis à 40, par un infarctus. Au début de cette année, le créateur de C’est ma vie et d’Inch’Allah a été confiné au silence pendant plusieurs semaines par un problème d’aphonie provoqué par des gaz lacrymogènes. Au hasard d’une promenade dans les rues de Santiago, au Chili, le visiteur a malencontreusement croisé la route d’une manif.
Je me dis depuis 60 ans que c’est peut-être la dernière tournée, la dernière journée, que rien n’est acquis d’avance, que tout est toujours du bonus. Et je me le dis encore plus aujourd’hui, parce que je sais que le prochain concert fait davantage partie de mes derniers que de mes premiers. Alors je le vis encore plus intensément.
Salvatore Adamo
J’avais oublié que les roses sont roses, chantait Adamo en 1971, mais lui ne l’a jamais oublié. « La chanson s’adresse à ceux qui ont peut-être besoin qu’on le leur rappelle. »
Papi Salvatore
Giovanna Adamo, la gentille sœur de Salvatore, qui est aussi son assistante depuis plus de 30 ans, interrompt le plus discrètement possible notre entretien afin de tendre à son grand frère un vaporisateur buccal l’aidant à préserver sa voix. « Giovanna est une des quatre sœurs qui me restent », précise, soudainement ému, l’aîné de sept enfants. Quelques minutes auparavant, sa femme, Nicole, était venue nous saluer.
Pourquoi Salvatore Adamo, à 79 ans, s’impose-t-il la lourdeur d’un séjour de dix spectacles en trois semaines au Québec, alors qu’il pourrait couler des jours tranquilles chez lui à Bruxelles ? Parce qu’il y a pire dans la vie que de passer trois semaines en voyage avec sa femme et sa sœur, et parce qu’il sait pertinemment la fragilité de tout.
Au détour d’une réponse sur un autre sujet, le chanteur évoque son frère, guitariste dans son groupe, parti à 51 ans, en 2005, puis leur père, parti en 1966. Il avait 46 ans et venait tout juste de se faire offrir par son fils un restaurant.
Comme mon père avait quitté l’Italie la mine basse pour gagner sa vie en Belgique, il rêvait de revenir la tête haute en Sicile, mais il n’a pas été en mesure de goûter à ce bonheur. Tous les jours, j’embrasse leurs photos, plutôt que d’aller au cimetière, là où leur absence devient implacable.
Salvatore Adamo
Salvatore Adamo, un ami de Montréal depuis sa première visite durant Expo 67, ne tient donc rien pour acquis. La vie, de toute façon, le ramène régulièrement à son humilité. Exemple attendrissant, c’était il y a quatre ans. Lili, sa petite-fille, 6 ans, accompagnait ce jour-là sa grand-mère au guichet automatique. Cet argent, il vient d’où, a demandé la gamine, qui ignorait encore tout de la carrière de son grand-papa. « Ça vient du travail de papi », a répondu la mamie. Il fait quoi, papi ? « Il fait des concerts. »
« Un mois plus tard », enchaîne le grand-papa avec au visage ce sourire qui explique au moins la moitié de sa gloire, « je suis assis chez moi avec ma petite-fille, qui se retourne vers moi et qui me lance : ‟Dis, Papi, tu me fais un concert ? » Je me lève, je vais chercher ma guitare, je reviens au salon et elle me dit : ‟Mais non, tu ne vas quand même pas chanter ! » »
Ce mardi 25 avril à la salle Wilfrid-Pelletier, puis en tournée partout au Québec jusqu’au 14 mai
Entrevue | Adamo n'a jamais oublié que les roses sont roses - La Presse
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