Arch Enemy, Jinjer, Spiritbox. Il suffit d’ajouter le mot « reaction » après le nom de l’un de ces groupes dans votre moteur de recherche préféré pour tomber sur des dizaines de vidéos montrant l’étonnement non feint de coachs vocaux à l’écoute de l’une ou l’autre des chansons interprétées par les incroyables interprètes que sont Alissa White-Gluz, Tatiana Schmayluk et Courtney LaPlante. Leurs prouesses vocales laissent bouche bée : elles maîtrisent à la perfection les techniques de chant saturé, mieux connu dans le jargon métal comme le « growl » et le « fry scream ». C’est méchant à souhait, mais il y a 10 ans à peine, presque aucune femme n’osait rugir ainsi dans le micro.
« Être une femme et chanter avec cette technique était incroyablement rare à ce moment-là, et c’est encore assez rare aujourd’hui », nous écrit la Montréalaise Alissa White-Gluz, une pionnière qui a fait ses classes avec le groupe The Agonist avant de prendre la relève d’Angela Gossow avec Arch Enemy. « Le grand public ne croyait tout simplement pas que c’était ma voix et croyait que c’était de la post-synchro ou bien une quelconque technologie qui modifiait le son de ma voix. »
Tatiana Schmayluk soutient quant à elle avoir appris en partie en criant... dans son oreiller ! En tournée en Angleterre avec ses collègues de Jinjer, la chanteuse ukrainienne de 35 ans originaire de la ville de Donetsk nous a expressément demandé que l’entrevue se concentre uniquement sur ses activités musicales, par souci de sécurité pour sa famille. N’empêche, quand on lui a demandé si chanter de cette façon lui permettait d’exprimer des émotions particulières, on a compris que son quotidien n’était pas peuplé d’arcs-en-ciel et de licornes.
Ce n’est pas de l’agressivité que j’exprime en chantant comme ça, c’est davantage de la tristesse et du désespoir. C’est comme si j’avais un monstre très, très triste pris en dedans. Mon monde intérieur est essentiellement triste, ou peut-être moitié triste, moitié en colère quand je crie.
Tatiana Schmayluk
Inspiration
Jessica Dupré, du groupe québécois Fall of Stasis, admet justement qu’Alissa White-Gluz et Tatiana Schmayluk sont parmi les chanteuses qui l’ont incitée à se mettre elle-même au métal hurlant. « On ignorait l’existence de ce type de chant, alors ça a inspiré une génération, un peu comme un athlète dans un nouveau sport, nous dit la jeune musicienne de 27 ans. Les femmes ont des émotions comme les hommes, et le fait de pouvoir exprimer notre rage de la même façon permet de véhiculer nos émotions de la même manière. Ça vient avec des messages percutants et puissants, tu veux les crier sur tous les toits, c’est libérateur ! »
« C’est normal et convenu de voir des hommes être agressifs et bruyants, alors que les femmes ne sont pas censées agir de la même façon, renchérit de son côté Alissa White-Gluz, en tournée au Japon au moment de notre entrevue. Dans un sens, chanter comme ça est donc un acte de rébellion. Personnellement, ça me fait me sentir encore plus féminine de chanter comme ça parce que c’est tellement dominant. »
Maîtrise
Si Alissa White-Gluz et Tatiana Schmayluk sont autodidactes et ont appris à growler seules, maîtriser les techniques adéquates est essentiel si on veut chanter longtemps – Tatiana nous a d’ailleurs avoué avoir un timbre de voix différent d’il y a une douzaine d’années.
Armée d’un baccalauréat en chant classique, Corinne Cardinal, du groupe montréalais Valfreya, rédige actuellement un mémoire en musicologie qui porte sur les chants saturés dans le métal. Cofondatrice de La Fabrique de monstres, une entreprise qui crée des univers vocaux distordus pour le cinéma et les jeux vidéo, la chanteuse de 36 ans est l’une des rares qui enseignent ce genre de techniques de chant, qui consiste à savoir utiliser ses faux plis vocaux en ménageant ses véritables cordes vocales.
« J’ai compris les mécanismes de la voix saturée, ça m’a beaucoup aidée », soutient celle qui enseigne actuellement à une douzaine d’élèves, autant d’hommes que de femmes.
Évidemment, les gens sont souvent impressionnés de voir une grosse voix comme ça sortir d’un corps féminin !
Corinne Cardinal, chanteuse de Valfreya
Facile d’imaginer la réaction du public d’America’s Got Talent quand il a vu le tour de chant du Growlers Choir – chœur québécois dont font partie Jessica Dupré et Corinne Cardinal – ou encore celui de la petite Harper, une Britannique de 10 ans qui a rendu tout le monde incrédule en interprétant Holy Roller, du groupe canadien Spiritbox.
« L’accueil aurait été différent il y a quelques années, bien qu’il y ait encore des gens qui qualifient ça de “musique du démon”... Mais les juges ont aimé, et la foule aussi, indique Corinne Cardinal. Ça permet aussi aux femmes de sortir de clichés encore souvent associés aux femmes dans le métal, parce que l’image de la pitoune en cuir ou de la petite gothique très cute colle encore. »
Le message véhiculé par les filles qui growlent est toutefois sans équivoque : « Bien sûr, ça donne l’impression qu’on crie, il y a de la colère qui sort dans le métal, c’est certain », affirme la chanteuse de Valfreya, qui sera sur scène en mai à Montréal en compagnie des vétérans suédois de Hammerfall. « Les femmes sont aussi capables d’être fortes et en colère, d’exprimer les mêmes messages que les hommes, mais à leur manière. »
On ne va certainement pas la contredire.
Quatre voix féroces
Courtney LaPlante
Spiritbox
Le groupe de Victoria a non seulement été en nomination aux derniers Juno dans la catégorie métal/hard rock, mais également dans la catégorie du groupe révélation de l’année. Beau coup de chapeau au groupe mené par Courtney LaPlante, qui passe sans avertissement du mélodique aux cris à déchirer les tympans. Tout ça dans un écrin musical indéfinissable qui navigue avec aisance entre metalcore, nu-metal, électro, post-prog, djent, un cocktail complètement original et de plus en plus accessible.
Lauren Hart
Once Human
Lauren Hart est la force dévastatrice qui anime Once Human, groupe qu’elle a formé en 2014 avec le guitariste et producteur montréalais Logan Mader, anciennement avec Machine Head. Lancé en 2022, le plus récent album Scar Weaver a été encensé par la critique, un opus féroce, musicalement complexe et abouti qui affirme encore davantage l’incroyable dextérité vocale de la chanteuse californienne.
Eva Korman
Rolo Tomassi
Rolo Tomassi est un autre groupe qui défie toute forme de classification. Avis aux imprudents, car le groupe britannique cache son jeu, à tous les égards. Les contrastes atteints par le quintette sont à ce point déstabilisants qu’on a créé pour le groupe un nouveau sous-genre musical, l’art-metal. Eva Korman est tantôt l’ange qui accompagne les mélodies planantes de piano, tantôt la banshee qui veut avaler notre âme. L’écoute de Where the Myth Becomes Legend, dernier album de Rolo Tomassi, est une expérience en soi.
Vicky Psarakis
The Agonist
La chanteuse américaine a pris la relève d’Alissa White-Gluz en 2014, assurant avec brio la continuité de l’œuvre du groupe montréalais – les deux derniers albums du groupe ont été sélectionnés aux prix Juno. Incorporant des éléments de death métal mélodique, de metalcore, de métal progressif et même de métal symphonique, le groupe compte sur les prouesses vocales de Vicky Psarakis, qui utilise toutes les techniques de chant saturé en plus de compter sur sa voix naturelle.
Rugir au féminin | La Presse - La Presse
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