Après avoir dénoncé la grossophobie sous toutes ses formes dans La vie en gros, le journaliste Mickaël Bergeron s’attaque cette fois-ci à la masculinité toxique. Avec Cocorico. Les gars, faut qu’on se parle, il signe un essai qui porte à la réflexion et dans lequel il n’évite aucun sujet qui gêne : de l’homophobie intériorisée à la culture du viol en passant par le complexe du petit pénis. Une réponse franche à un ressac qu’il observe depuis quelque temps, le mouvement #MeToo étant de plus en plus contesté et certains montrant du doigt les « dérives » d’un certain féminisme.
Mickaël Bergeron, lui, épouse parfaitement ce discours néoféministe très présent dans les cercles de gauche. Il cite d’ailleurs comme inspiration Martine Delvaux et son essai Le boys club, ou encore Camille Robert avec Toutes les femmes sont d’abord ménagères. Mais aussi solidaire soit-il, il sait trop bien que les femmes n’ont pas besoin d’hommes qui s’approprient leur cause. Ce livre, il le dédie d’abord et avant tout à ses semblables.
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« Je suis conscient qu’il y a des femmes qui vont lire le livre aussi, mais je voulais surtout m’adresser aux gars. Je trouvais qu’il y avait un trou dans le débat public sur ces sujets-là. Les hommes n’y participent pas assez, et j’aimerais créer un dialogue. Un dialogue entre les gars, mais aussi avec les femmes. Car en ce moment, j’ai l’impression que certaines craignent d’aborder des sujets avec les gars, car elles sentent une fermeture de leur part, et ça ne devrait pas être le cas », déplore celui qui écrit pour Les Coops de l’information.
Le chroniqueur et auteur en a notamment contre tout ce discours qui remet en cause le bien-fondé de la déferlante #MeToo. Mickaël Bergeron ne s’émeut guère de ceux qui se portent à la défense de la sacro-sainte « présomption d’innocence » et qui dénoncent à tout vent la cancel culture.
Je suis conscient qu’il y a des femmes qui vont lire le livre aussi, mais je voulais surtout m’adresser aux gars.
Ce n’est que du bout des lèvres qu’il reconnaît que les mouvements de dénonciation ont pu donner lieu à quelques dérapages. Mais ceux-ci sont anecdotiques quand on prend en compte le portrait d’ensemble, tient-il à préciser aussitôt : « J’ai l’impression que certains mettent plus d’énergie à lutter contre les fausses dénonciations que contre les agressions sexuelles. Sauf que, quand on regarde les statistiques, on voit qu’il y aurait 2 % de fausses dénonciations, alors qu’une femme sur trois dit avoir été victime de violence sexuelle. C’est donc complètement disproportionné l’énergie que certains mettent à défendre la présomption d’innocence. »
Le mythe de l’homme discriminé
Différents chiffres sur les agressions sexuelles sont abondamment relayés par les groupes d’aide aux victimes, mais ils sont parfois mis en doute par le milieu juridique. Il n’en demeure pas moins que la réalité est indéniable. En 2018, au Canada, 33 % des femmes disaient avoir subi des violences sexuelles à l’âge adulte, contre 9 % pour les hommes. Et dans la très grande majorité des cas, les hommes qui disent avoir été victimes ont été abusés par un autre homme.
Le fossé est aussi d’ordre économique. En 2021, la CNESST révélait que les femmes au Québec avaient gagné en moyenne 10 % de moins que les hommes dans les cinq dernières années. Oui, mais le décrochage scolaire touche majoritairement les garçons, rétorqueront certains. Et quid du taux de suicide, trois fois plus élevé chez les hommes que les femmes ?
Mickaël Bergeron connaît par coeur la logorrhée masculiniste, qui cherche à relativiser les doubles standards persistants entre les hommes et femmes. Dans Cocorico. Les gars, faut qu’on se parle, il se fait un point d’honneur de démonter un à un ces arguments.
« Ce n’est pas à cause des femmes que les hommes réussissent moins bien à l’école ou qu’ils se suicident. C’est à cause de la société, qui a été construite par les hommes. Si les hommes décrochent plus, c’est qu’on préfère valoriser le sport ou les métiers plus techniques plutôt que les études. Pas parce que l’école est faite pour les femmes. Si les hommes se suicident davantage, c’est aussi à cause de notre façon de les éduquer. Parce qu’on leur inculque que parler de leurs problèmes est un signe de faiblesse », résume-t-il en entrevue au Devoir.
Casser le moule
Bref, non seulement les femmes sont victimes de la masculinité toxique, mais les hommes en font également les frais. Mickaël Bergeron en appelle donc à « déconstruire » les stéréotypes de la virilité qui se sont immiscés dans nos moindres gestes au quotidien, parfois de manière insidieuse. Pourquoi par exemple les hommes boivent-ils de la bière ou de l’alcool fort en public même quand ils préfèrent le vin ? Ou pourquoi le barbecue demeure-t-il la chasse gardée des hommes, alors que la cuisine en général reste l’apanage des femmes ?
Certes, les hommes doivent changer. Mais « les femmes aussi doivent déconstruire cette image » du mâle alpha que la société leur a imposée, écrit Mickaël Bergeron, qui se définit comme queer, même s’il a toujours été attiré par les femmes.
L’auteur ne se berce pas d’illusions. S’extirper de ce cercle vicieux ne se fera pas en un claquement de doigts. D’autant que ces schémas sont bien intégrés dans le système d’éducation ou encore dans la culture populaire.
Un chapitre complet d’ailleurs est consacré aux chansons qui perpétuent le sexisme, ou du moins une toxicité dans les rapports hommes-femmes. Ainsi, N’importe quoi, d’Éric Lapointe, Tu m’manques, de La Chicane, ou Embarque ma belle, de Kaïn, sont catégorisées comme problématiques dans le livre. Dans les pages suivantes, Mickaël Bergeron va même plus loin en laissant entendre que les institutions publiques devraient porter attention aux paroles des artistes qu’elles subventionnent.
« Il y a tellement de critères pour avoir accès aux subventions. Le [Conseil des arts et des lettres du Québec] ne subventionnerait jamais par exemple une oeuvre qui en appelle à la violence envers les enfants. Alors, peut-être qu’on pourrait élargir la réflexion aux chansons. Ça n’empêcherait pas l’artiste de sortir sa chanson, mais il pourrait ne pas être subventionné. […] C’est une idée que je lance comme ça, mais ce n’est pas une position que je vais défendre sur la place publique », ajoute-t-il, sans avoir en tête un nom d’artiste québécois qui mériterait de se faire couper les vivres.
Mickaël Bergeron sait que cet essai lui vaudra sans doute d’être taxé de woke, l’insulte dernier cri à droite. Mais il n’en a cure, affirme-t-il : « C’est juste la nouvelle étiquette à la mode. Avant, on me traitait d’altermondialiste et d’islamogauchiste, et maintenant de woke. Je m’en fiche complètement. Moi, je suis pour l’égalité, et je pense qu’on peut toujours s’améliorer. »
À voir en vidéo
La masculinité toxique dans le tordeur - Le Devoir
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