Comédien, chanteur, humoriste, philanthrope et même sénateur : peu de personnalités auront autant marqué le Québec dans des sphères aussi différentes que Jean Lapointe. Artiste d’une rare polyvalence, homme inspirant au franc-parler parfois dérangeant, il est décédé vendredi à 86 ans, laissant derrière lui un legs immense, ne serait-ce que pour le centre de thérapie qui porte son nom.
« Les gens l’aimaient déjà. Mais en montrant un côté de lui imparfait, en se présentant comme un homme qui luttait contre ses démons, il est allé chercher encore plus l’amour du public », souligne sa fille Anne Elizabeth Lapointe, qui dirige aujourd’hui la Maison Jean Lapointe que son père a fondée en 1982.
Avant de devenir le porte-étendard de la lutte contre la dépendance, Jean Lapointe aura connu une prolifique carrière dans le monde du spectacle. D’abord dans les cabarets dans les années 1950, puis comme humoriste au sein du duo comique Les Jérolas, aux côtés de Jérôme Lemay, jusqu’en 1974.
Au cinéma, il tiendra la vedette dans deux des plus grands chefs-d’oeuvre du cinéma québécois : les Ordres de Michel Brault en 1974, et L’Eau chaude, l’eau frette d’André Forcier. « C’est un être exquis. C’est un être avec un grand coeur qui réussissait à établir une complicité avec les autres acteurs », se souvient l’actrice Sophie Clément, qui fut sa partenaire dans L’Eau chaude, l’eau frette. Jamais elle n’a senti le moindre mépris à l’endroit de cet humoriste, grande vedette de variétés, qui s’essayait dans des rôles dramatiques dans des films d’auteur. « Au contraire, il y avait un immense respect », insiste Sophie Clément.
Ses talents de comédien ne font plus de doute lorsqu’il décroche le rôle de Maurice Duplessis dans la série biographique réalisée par un certain Denys Arcand, alors en tout début de carrière. Jean Lapointe est bluffant dans la peau de l’homme fort de la Grande noirceur, présenté parfois comme un être vulnérable. Le dialogue de 15 minutes entre Maurice Duplessis sur son lit d’hôpital et Adélard Godbout est passé dans les annales. Certains, dont le péquiste Pascal Bérubé, sont allés jusqu’à demander vendredi à Radio-Canada de rediffuser la série Duplessis pour rendre hommage à Jean Lapointe.
Chose certaine, l’ensemble de la classe politique, de Justin Trudeau à François Legault, a tenu à saluer le départ de ce géant. « Jean Lapointe était un monument de la culture québécoise et une source d’inspiration pour des milliers de personnes. Surtout, la Maison Jean Lapointe est l’un de ses legs les plus précieux », a pour sa part écrit Valérie Plante sur Twitter.
Le combat de sa vie
Ami proche de Félix Leclerc, Jean Lapointe connut également un immense succès comme auteur-compositeur-interprète dans les années 1970 et 1980. On lui doit entre autres le classique Chante-la ta chanson.
« Il se décrivait avant tout comme un fantaisiste. Mais je pense que ce qu’il préférait, c’était la scène. Il aimait jouer, mais il n’aurait pas eu la patience pour passer sa vie sur les plateaux de tournage. C’est sur la scène qu’il était le plus heureux. Quand les kodaks s’allumaient, il s’allumait aussi. C’était vraiment une bête de scène », relate son unique fils, l’animateur Jean-Marie Lapointe.
Mais pendant qu’il brillait sur les planches et à l’écran au début des années 1970, Jean Lapointe était dévoré en coulisses par ses problèmes d’alcoolisme. À la suite de nombreuses thérapies, il finira par reprendre le dessus sur ses démons, mais ce n’est qu’au début des années 1980 qu’il parlera ouvertement de son combat.
« Il a été l’une des premières personnalités connues à avoir avoué avoir eu un problème d’alcool. Ça a vraiment aidé à faire avancer la cause et ça a fait tomber des préjugés. À la fin des années 1970, un alcoolique, c’était encore un ivrogne, un paresseux. Qu’une personnalité aussi aimée expose ses failles, ça changeait les perceptions », évoque Anne Elizabeth Lapointe, dont on sent l’admiration sans bornes pour son père, qui aura été sobre pendant plus de 40 ans.
L’anti-politicien
Son engagement contre les dépendances lui avait valu d’être nommé sénateur en 2001 par Jean Chrétien, une expérience qu’il a, en fin de compte, peu appréciée. D’autant que son travail pour mieux encadrer l’installation des machines de loterie a été vain.
« Notre grand-père était député fédéral, alors quand il a été nommé sénateur, c’était une immense fierté pour lui. Les premières années, il était très motivé. Mais il a déchanté après son échec à mieux réglementer les machines de jeu. Disons que dans tout qu’il a accompli dans sa vie, la politique, ce n’était vraiment pas ce dont il était le plus fier », reconnaît Jean-Marie Lapointe, qui croit que son père était beaucoup trop franc, trop direct, pour la joute politique.
« Il était vraiment intègre. Il disait ce qu’il pensait, et il faisait ce qu’il disait. Il s’en foutait de ce que les gens pouvaient penser », ajoute Jean-Marie Lapointe, qui ne manque pas de souligner que derrière cette force de caractère se trouvait une grande vulnérabilité.
Jean Lapointe siégera à la chambre haute jusqu’en 2010, l’année de ses 75 ans, âge de la retraite obligatoire pour les sénateurs. Dans l’une de ses dernières entrevues accordées à Radio-Canada en janvier dernier, cet ancien fédéraliste convaincu, fils d’un ancien député libéral, confiait dorénavant espérer l’avènement d’un Québec souverain.
« Ça va venir un jour ou l’autre l’indépendance du Québec, et je le souhaite », avait-il confié à Patrice Roy en parlant des deux solitudes irréconciliables qu’il avait constatées durant ses années à Ottawa.
Reconnaissance
Après la politique, Jean Lapointe renouera à plein temps avec ses premières amours, qu’il n’avait jamais vraiment délaissées. Le retour sur scène des Jérolas est toutefois écourté en 2011, lorsque son complice, Jérôme Lemay, décède quelques semaines après avoir fait un malaise en plein spectacle.
La même année, il reçoit le Jutra hommage pour l’ensemble de sa carrière cinématographique, qui est toutefois loin d’être terminée. Et pour cause, le soir même, il reçoit aussi le Jutra du meilleur acteur de soutien pour sa performance bouleversante dans À l’origine d’un cri de Robin Aubert. Une récompense qu’il avait déjà remportée en 2005 pour le Dernier tunnel d’Érik Canuel, pour lequel il avait également mis la main sur le prix Génie du meilleur acteur de soutien.
Le réalisateur du film n’a que de bons souvenirs de ce tournage, au cours duquel Jean Lapointe partageait l’affiche avec Michel Côté. « Jean Lapointe, c’était un vrai. Si on peut lui donner le crédit de quelque chose, c’est d’avoir toujours été entier. C’était un homme tourmenté, mais il a su, par sa grande humanité, retourner ça pour aider les gens », résume Érik Canuel.
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Le Québec pleure Jean Lapointe, homme de tous les talents - Le Devoir
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