« Il y a une faille dans tout », dit Mariana Mazza. En tout, même en elle ? Surtout en elle, constate-t-on grâce à Montréal-Nord, son premier roman, d’une étonnante sensibilité. « Je sais qu’il y a des gens qui sont confrontés par des énergies comme la mienne. Ils vont enfin pouvoir comprendre que je ne suis pas juste la fille qui arrive à la télé et qui crie. »
Dans le salon de Mariana Mazza, il y a deux chiens, Bobby et Lino, beaucoup de coussins et une quantité de livres digne de l’arrière-boutique d’une librairie. « Ça, c’est juste les deux derniers mois », lance-t-elle en pointant une pile d’une centaine d’achats récents, parmi lesquels L’aveuglement de l’écrivain nobélisé José Saramago, Les rois du silence d’Olivier Niquet et Génération Canal Famille.
Enfant, il arrivait que la petite Mariana rentre directement chez elle, après l’école, pour faire ses devoirs sur la table de la cuisine, pendant que sa mère préparait déjà le souper et que la radio jouait très fort. Mais la plupart du temps, Mariana s’arrêtait à la bibliothèque Charleroi (aujourd’hui Yves-Ryan) ou à celle du parc Ottawa pour s’enfoncer en toute quiétude dans ses manuels et feuilleter les nouveautés. « C’était mes moments de délinquance », blague-t-elle en se rappelant la jeune fille studieuse qu’elle a été.
« La bibliothécaire me disait : “C’est maximum dix livres par emprunt, mais je te laisse en prendre douze. Tu le dis à personne, c’est notre secret !” », écrit-elle dans Montréal-Nord. Hommage à sa mère, enquête sur ses origines, chronique d’un quartier dont on parle rarement en bien ; ce touchant premier roman, qui puise sa matière première dans la vie de son autrice, est d’abord le portrait d’une gamine que les livres auront maintenue du côté de la lumière. Et qui se nourrit abondamment, depuis quelques années, de ce qu’elle trouve dans la littérature contemporaine.
« Là où je me terre de Caroline Dawson, moi, ç’a changé ma vie ! », s’exclame la chroniqueuse à Bonsoir bonsoir !, qui évoque aussi le choc qu’ont produit sur son petit cœur les riches figures féminines d’Elena Ferrante et la franchise parfois brutale d’Ouvrir son cœur d’Alexie Morin.
Je voulais raconter ces choses-là depuis longtemps, mais je ne savais pas exactement pourquoi, et Caroline Dawson m’a montré que ça avait une pertinence, que mon enfance, que je pensais banale, n’était pas banale.
Mariana Mazza
Le bonheur, mais…
Contrairement à Là où je me terre, dans lequel l’innocence de l’enfance résiste mal au déracinement de l’immigration, Montréal-Nord, premier titre d’une trilogie, raconte une jeunesse essentiellement heureuse. « Très heureuse, mais avec beaucoup de blessures », précise Mariana Mazza, née à Montréal d’une mère libanaise et d’un père uruguayen, qui se sont rencontrés au Venezuela. Elle a 2 ans lorsque son alcoolique de paternel se pousse, pour ne plus jamais revenir.
« C’est plus tard qu’est apparu le manque de mon père », se souvient celle qui se dépeint en élève ayant constamment dû brider son enthousiasme pour l’école, afin d’éviter les quolibets. « Je ne fais pas ce métier-là parce que j’ai confiance en moi. Je fais ce métier-là parce que j’ai voulu de l’attention. En entrevue, j’ai parfois eu l’air d’avoir beaucoup de prétention et ç’a été pour moi une façon de me venger. Combien de gens qui m’ont dit : “Baisse ta main, tu retardes le groupe, t’es trop curieuse”, paient pour venir me voir en show aujourd’hui ? Ma confiance est devenue une carapace. »
La Mariana de Montréal-Nord — sensible, fragile, presque timide – pourrait difficilement être davantage aux antipodes de l’humoriste forte en gueule qui décrit en détail son activité fécale devant des milliers d’inconnus et déclenche les sirènes de la police du langage presque chaque fois qu’elle apparaît au petit écran. Cette Mariana mal assurée, que ses contempteurs ne soupçonnent pas, n’est d’ailleurs jamais très loin.
Sur scène, à la télé, je ferais n’importe quoi pour un rire. Mais quand la caméra s’éteint, je me demande tout le temps : “Est-ce que c’était correct ? Est-ce que j’en ai trop dit ? Est-ce que j’ai parlé trop fort ?”
Mariana Mazza
Parler trop fort ? Dire le fond de sa pensée, sans la maquiller ? Voilà un trait que Mariana a visiblement hérité de maman Sonia, qui fournit à ce livre ses pages les plus touchantes et hilarantes — ce sont souvent les mêmes. Sa fille intercale brillamment entre ses chapitres des retranscriptions de ses conversations avec sa mère, qui se remémore avec une troublante (et comique) absence de pathos tout ce qu’elle a vécu de difficile : devoir abandonner ses deux premiers enfants, être en couple avec un homme violent, occuper quatre jobs en même temps.
« Je voulais montrer à quel point ma mère est d’une froideur quand elle parle de ses grands drames », explique Mariana en éclatant de son rire d’ouragan. « J’ai l’audio : ça fait encore plus peur ! Elle devrait être en pleurs, mais elle a zéro émotion, c’est comme si elle racontait sa sortie au Costco ! Si on pouvait voir la profondeur de son bouclier, on verrait un mur de 20 pieds. Et ce mur-là, il a fallu que je le pète toute sa vie. » Un silence. « Calice qu’elle est forte ! »
Travailler
« Tu vois, ma mère a été toute la journée sur mon terrain à faire le ménage », confie Mariana au sujet de sa maman, qui avait passé la soirée précédente avec elle à regarder la télé et à boire du vin. Le travail a bien sûr été pour elle une manière de subvenir aux besoins de sa progéniture, mais est devenu aujourd’hui quelque chose comme une manière d’être au monde, de se sentir vivante. À 62 ans, elle conduit encore, plusieurs matins par semaine, un autobus adapté pour enfants autistes.
On comprendra que Mariana Mazza ait sourcillé, pour le dire poliment, lorsque le ministre de l’Immigration, Jean Boulet, a récemment déclaré que « 80 % des immigrants ne travaillent pas ».
Ma mère, ça fait 32 ans qu’elle est au Québec et je ne l’ai pas vue une journée ne pas travailler ! Tous mes amis ont été élevés par les grands frères et les grandes sœurs des autres, parce que les parents travaillaient tout le temps. Faque ta gueule avec ton 80 % ! Je suis contente de ne pas m’être retrouvée à la télé devant lui, je l’aurais insulté jusqu’à ce qu’on coupe le micro.
Mariana Mazza
« Beaucoup de gens choisissent le Québec parce qu’ils ont entendu dire que c’était mieux ici, parce qu’ils espèrent être accueillis », poursuit-elle, en retrouvant son calme. « De savoir qu’ils ont entendu ces phrases-là, ça me fait de la peine. La règle numéro un lorsqu’on se trouve devant quelqu’un qui a changé de pays, c’est de dire bienvenue, on est là pour vous. »
Son roman a failli s’intituler Ma reine, en l’honneur de sa maman, mais s’appelle Montréal-Nord, parce que « c’est grâce à Montréal-Nord que je comprends la valeur de tout ce que j’ai aujourd’hui ». « Je voulais montrer que ce n’est pas parce qu’un quartier est problématique dans les médias que toute la vie du quartier est problématique. Chaque maison, chaque bloc a son environnement. Mais c’est vrai que tout le monde n’a pas la même chance de s’en sortir. Moi, la chance que j’ai eue, c’est d’avoir cette mère-là. »
Montréal-Nord
Mariana Mazza
Québec Amérique
208 pages
Mariana Mazza | Malgré tout, on rit à Montréal-Nord - La Presse
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