Des foules nombreuses (120 000 spectateurs pour la fin de semaine) et un temps clément ont été un baume pour les organisateurs, qui ont dû remplacer pas une, mais deux de leurs trois têtes d’affiche au pied levé.
Le décès de Taylor Hawkins, des Foo Fighters, a permis à Arcade Fire de venir à la rescousse du festival de sa ville d’adoption vendredi, tandis que les ennuis avec la justice de A$AP Rocky, qui l’ont empêché de mettre le pied au Canada, ont mené à la venue de Future, qui a chauffé le parc Jean-Drapeau samedi.
Dans toute l’histoire du festival, le désistement d’une tête d’affiche ne s’était produit qu’une fois, il y a plus d’une décennie, quand les Yeah Yeah Yeahs ont dû remplacer les Beastie Boys pour cause de maladie.
Et l’autre tête d’affiche (Dua Lipa) a décidé de jouer (au Centre Bell) une semaine avant le festival
, lance Nick Farkas, le vice-président concerts et événements d’Evenko, qui est à la barre d’Osheaga depuis ses débuts, en 2006. Je ne pourrais être plus heureux dans les circonstances
, a-t-il ajouté, tout en énumérant les facteurs qui ont posé problème cette année.
La COVID, l’inflation et la difficulté de se loger en ville. Vas-tu réserver une chambre hôtel et un billet d’avion non remboursable à l’avance si c’est pour contracter la COVID une semaine avant le festival? L’inflation a mené à une hausse des coûts de production de 15 à 20 %. Et le logement… Écoute. J’ai trouvé une chambre pour quelqu’un la semaine passée à 1200 $. À Longueuil, il y a des chambres à 500 $ la nuit.
, poursuit-il.
« Cette année, il y a aussi le festival Juste pour Rire et une conférence sur le sida à Montréal en même temps. C’est excellent pour la ville, moins bon pour nous autres. »
Conséquence : au lieu d’avoir 65 % de festivaliers provenant de l’Ontario et des États-Unis comme d’habitude, la proportion est de 50-50 entre les résidents du Québec et les gens venant de l’extérieur.
Je n’ai jamais autant entendu parler français sur le site. Les ventes des derniers jours ont été exceptionnelles : 120 000 personnes, pour nous, c’est quand même une bonne année. On a vécu des années à 135 000, mais c’est un gros succès après des années de pandémie.
La lente transformation
Depuis sa création, le festival Osheaga s’est transformé. Événement axé sur les courants musicaux alternatifs de la pop et du rock au départ (Sonic Youth comme première tête d’affiche), il a évolué au gré des genres et du temps.
Depuis une dizaine d’années, chacune des trois soirées de clôture sur la scène de la rivière met en vedette des artistes issus le plus souvent de la pop, du rock et du hip-hop. Et cette diversité se mesure sur l’ensemble de la programmation qui contient un fort lot de découvertes. Osheaga est devenu plus que jamais un immense buffet musical, où tout le monde y trouve quelque chose à son goût. Survol de quelques prestations vues ce week-end.
Éclatante Dua Lipa
Je n’étais pas au Centre Bell il y a quelques jours pour le concert de Dua Lipa, mais les festivaliers d’Osheaga n’ont pas été en reste. Après une ouverture visuelle sur les écrans géants similaire à un générique de série télévisée, où chaque danseur et danseuse de l’artiste a été présenté avec son nom, le concert s’est amorcé sur une entraînante version de Physical qui a mis à contribution les musiciens et les choristes.
Chorégraphies nombreuses et variées, accessoires (parapluies, patins à roulettes, cœurs en tissus) et projections visuelles (flamants roses, boule disco géante) sont venus enrober et colorer l’imposante production scénique.
Au sein de tout ce bazar, la Britannique a brillé de tous ses feux avec sa tenue scintillante et transparente, sa grâce féline et une voix de mezzo-soprano. Ses danseurs l’ont portée au bout de leurs bras pendant qu’elle a chanté Pretty Please et elle a laissé tomber le registre sérieux pour une ironique Good In Bed durant laquelle des cerises défilaient sur les écrans. Du gros calibre de dance-pop pour conclure le festival.
Explosif MGK
Juste avant Dua Lipa, Machine Gun Kelly est venu nous présenter un type de concert que l’on connaît bien, mais à une puissance encore supérieure à naguère. Le rappeur le plus rock qui soit nous a lui aussi offert un dispositif scénique peu banal (un semblant d’avion sur scène, quand même…).
Entre les tirades rap, l’enveloppe sonore de l’Américain est bien plus axée sur le rock d’aréna. Un peu convenu, mais diablement efficace. D’ailleurs, ce retour à Osheaga nous a permis de voir à l’œuvre sa nouvelle guitariste de tournée, la sensation britannique Sophie Lloyd, qui s’est fait connaître par des millions d’internautes avec ses reprises de classiques du rock. Fumante, la dame.
Seul impair, MGK ne sait pas s’arrêter à temps. Il avait déjà dépassé de dix minutes sa limite de temps quand le son a été coupé durant sa dernière chanson. Ça nous a rappelé The Cure en 2013, ça.
Le moment branché
Chaque année, ça ne rate pas. Il y a un(e) artiste ou un groupe qui provoque un engouement chez les mélomanes branchés, les membres de l’industrie musicale et les médias. Du genre, il faut être là. Cette année, Wet Leg était l’élu.
Le duo formé de Rhian Teasdale et de Hester Chambers – accompagnées de deux autres musiciens – a fait un carton sur la scène des arbres, dimanche en début de soirée. Le rock champ gauche des artistes nées sur l’île de Wight peut être mélodique, abrasif ou dissonant. De la pop, du rock, des épices de punk et des guitares grunge sur les bords. Quarante-cinq minutes de petit bonheur délectable qui se sont terminées sur la déferlante du tube Chaise longue qui a provoqué l’engouement il y a quelques mois.
De père en fils
L’histoire de la musique est farcie d’enfants qui ont voulu suivre la trace de leurs parents. Après Ravi Coltrane (John Coltrane), Carrie et Wendy Wilson (Brian Wilson) et Jakob Dylan (Bob Dylan), pour ne nommer que ceux-là, Elijah Hewson, fils de Paul Hewson (Bono), s’est joint à la cohorte.
Hewson et ses collègues du groupe irlandais Inhaler se produisaient pour une première fois au Canada avec les compositions de leur disque It Won’t Always Be Like This et la foule était très nombreuse devant la scène verte, dimanche.
Si Elijah a une tête qui rappelle pas mal celle de son père quand il était jeune, c’est moins vrai pour sa voix, qui est néanmoins très solide. Durant les 45 minutes de prestation, je me suis dit que j'aimais bien ce rock à saveur alternative qui a quelques affinités avec le U2 des débuts, mais sans plus.
Cela dit, Inhaler a de bonnes chansons accrocheuses dans son sac, quoique pas extrêmement fortes. En revanche, il n’y a rien à jeter non plus, preuve d’une belle constance créatrice. On a hâte de les voir dans un concert en salle à Montréal où ils seront les têtes d’affiche.
Son nom est Fender
Fender. Sam Fender. Avec un nom pareil, tu es destiné à jouer du rock avec la guitare du même nom. Gros succès lors de son premier passage en 2019, Fender avait une case ingrate dimanche, soit le premier concert sur la scène de la rivière à 14 h 40.
L’Australien n’en avait cure, tellement il disait – et semblait – être heureux d’être sur les planches à Montréal. Entre des offrandes bien ficelées comme Getting Started et Get You Down, il a livré quelques anecdotes de cette tournée qu’il ne pensait jamais faire en raison de la pandémie.
La foule qui réagissait fort aux salves de guitares – il en a exhibé plusieurs – lui a rendu son enthousiasme. Au point que lorsque les dernières notes de Seventeen Going Under se sont fait entendre après seulement 40 minutes, les spectateurs ont entonné la mélodie de la chanson en espérant le retour du chanteur-guitariste, ce qui était impossible. Ce fut trop court, trop tôt. Les programmateurs se sont gourés de case horaire sur ce coup-là.
Faire le spectacle
Il y a des artistes qui donnent un spectacle et d’autres qui se donnent en spectacle. Tove Lo a coché les deux cases, samedi après-midi. La Suédoise, qui portait des jambières étoilées qui feraient fureur au festival Lasso dans deux semaines, a pris d’assaut la scène de la rivière avec sa fougue coutumière vêtue de manière plutôt révélatrice tout en interprétant Bikini Porn. Pas de place à l’ambivalence.
Durant 50 minutes elle a dynamisé la foule avec ses chansons (Cool Girl, Are U Gonna Tell Her?, Habits (Stay High), Disco Tits) fusionnant le dance, la synthpop, l’électro et exhibant même ses seins au public, deux fois plutôt qu’une. Aussi imitée par plusieurs admiratrices dans la foule, d’ailleurs. Parmi les nouveautés proposées, la chanson de déchirure relationnelle How Long et la ballade de rupture No One Dies From Love, qui a clos la prestation, ont démontré que cette artiste possède une réelle profondeur.
Les héritiers du E Street Band
Vous connaissez Bleachers? Même ceux qui ignoraient qui était ce groupe se produisant après Tove Lo l’ont deviné en deux ou trois chansons. Originaires du New Jersey, les membres de la bande à Jack Antonoff sont les héritiers de Bruce Springsteen.
Let’s Get Married, How Dare Do You Want More et I Wanna Get Better pourraient pratiquement être des faces B d’enregistrements du E Street Band période 1973-1980. Rollercoaster reprend la mélodie de The Rising en ouverture avant de se transformer en déflagration du genre Rosalita.
Quand les guitares, les saxophones d’Evan Smith et de Zem Audu, ainsi que les deux batteries ont atteint leur paroxysme durant You’re Still A Mystery ont voyait des dizaines de festivaliers courir au parterre. Durant quelques minutes, nous n’étions plus au parc Jean-Drapeau, mais bien sur la plage d’Asbury Park, au New Jersey.
Faire corps avec la musique
Mitski fut un vrai de vrai coup de cœur lors de son passage à Osheaga en 2019, nous offrant quelque chose qui s’apparentait à un ballet chorégraphié avec une table et une chaise sur l’une des petites scènes du festival. Présente samedi sur la grande scène de la montagne, la prestation de la Nippo-Américaine a été plus éclatée, mais sans jamais se départir de son aspect théâtral.
Mitski fait corps avec sa musique comme peu d’artistes le font. Son corps est un prolongement de son art et de son œuvre. Durant Love Me More, quand elle chante love me more, love enough to clean me up
, elle fait semblant de se laver. Pendant Working For the Knife, son micro se substitue à un poignard qu’elle se passe sur le corps.
Pour I Don’t Smoke, ce ne sont rien de moins que des coups de pied dans les airs, dignes d’un film de kung-fu de Bruce Lee, qui charpentent sa performance, tandis que durant Should’ve Been Me, elle cogne frénétiquement sur la porte close placée sur la scène. Voix envoûtante, musique alliant le meilleur de la pop et du rock alternatif, prestation étoffée et raffinement au menu pour cette prestation digne de mention.
Chronique | Osheaga 2022 : 120 000 spectateurs et des images plein la tête - Radio-Canada.ca
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