C’est une histoire d’échangisme. Et puis d’amour. L’une qui finit mal, l’autre plutôt bien. Selon le point de vue où l’on se tient. Voici celui « tabou », quoiqu’assumé, de Stéphane*.
« Nous avons décidé de vous écrire, car c’est un tabou dans cette communauté. Nous ne sommes pas censés développer de sentiment d’amour dans ces activités, mais que faire quand la chimie opère ? »
Que faire quand les sentiments viennent brouiller les cartes, dans un jeu où les règles sont a priori clairement établies ? Sacrée question, en effet. Jamais, sauf erreur, à ce jour posée ici. Stéphane, 46 ans, nous a quant à lui écrit plus tôt ce printemps, pour lever le voile sur ce scénario « tabou », donc, qui lui est arrivé contre toute attente. Même contre ses propres volontés.
Mais commençons par le commencement. Avec une voix douce, et en toute transparence, Stéphane nous accueille dans sa jolie maison de Verdun pour se raconter. Tranquillement et sans détour, il répond à nos questions. Sa découverte de la sexualité ? Tout ce qu’il y a de plus « normal », vers 16 ans, « sans rien de bizarre ou de flyé », prend-il la peine de préciser. On comprend que l’intérêt pour l’échangisme est venu plus tard.
Après quelques « one nights », « toujours avec une seule fille », « jamais rien en groupe, jamais, jamais », précise-t-il à nouveau, Stéphane rencontre sa première blonde, autour de 18 ans, avec qui il passe huit ans. Au lit ? « Mort », dit-il en grimaçant. « Complètement. » Il ne s’épanche pas sur le sujet, mais on comprend que la relation était plutôt malsaine. Et qu’il est sorti « détruit ».
S’il l’a trompée ? « Non, non, non, répond Stéphane. Je suis quelqu’un de très loyal. »
Il passe les deux années suivantes seul, avant de rencontrer, au tournant de la trentaine, son ex-conjointe, avec qui il passe dix autres années. Au lit ? « Le jour et la nuit, sourit-il cette fois. Tout ce que je n’avais jamais eu. Et j’en ai eu beaucoup. » Nous y voici.
Pourquoi pas ?
Rapidement, madame ouvre effectivement la porte à l’échangisme. Il faut dire qu’elle avait davantage de vécu que lui, ayant expérimenté du côté des « trips à trois » déjà. « Pourquoi pas ? se dit Stéphane. Moi, comme homme, ça m’excitait. Mais elle voulait essayer avec des couples. Donc on s’est inscrits sur un site. »
Pendant plusieurs années, ils rencontrent ainsi différents couples. Parfois une fois. Parfois à répétition. « Selon la chimie », explique notre interlocuteur. « Et on était toujours les quatre dans la même chambre. »
Qu’est-ce qui l’allumait ? « Voir d’autre monde, répond-il. Faire l’amour avec une autre femme, découvrir un corps une première fois, embrasser… »
Fait à noter, enchaîne-t-il, « ça allait vraiment bien avec mon ex. Oui, oui, oui ! » Vraiment bien, jusqu’à ce que ça n’aille plus si bien ? « Jusqu’à tant qu’on rencontre cet autre couple, au bout de huit ans… »
Avec « cet autre couple », comme il dit, la chimie était particulière. Plus que particulière, en fait. « On avait des intérêts communs, on se trouvait beaux mutuellement. » Tellement qu’ils se sont mis à se voir souvent. De plus en plus. « Même trois fois dans une même semaine… »
Et oui, tout cela lui a joué dans la tête. Ou dans les tripes. Dur à expliquer. D’une relation purement sexuelle, la relation entre Stéphane et l’autre fille, appelons-la Stéphanie, est devenue sentimentale. « Je m’intéressais beaucoup à elle, résume-t-il. Clairement, je voulais plus que du sexe, mais je n’étais pas capable de le verbaliser. »
J’ai fini par la texter : j’ai envie d’être seul avec toi.
Stéphane, 46 ans
Comment expliquer cette « chimie » ici ressentie ? Par l’« intimité forcée », croit fermement Stéphane. « La première fois que je l’ai vue, je n’ai pas eu de coup de foudre, explique-t-il. Du tout, du tout, du tout. Je la trouvais jolie, sans plus. Mais à force de créer cette intimité… » Quelque chose s’est passé. « On était tout le temps collés. Il y avait beaucoup de tendresse l’un envers l’autre qui alarmait beaucoup nos ex-conjoints. » Pour cause : « dans l’échangisme, explique-t-il, c’est du sexe récréatif, souvent très show-off. » Mais pas ici. En tout cas, pas pour Stéphane et Stéphanie. « Avec elle, c’était très tendre. Je faisais l’amour. […] On s’embrassait tout le temps. Tout le temps. Pis tout le temps… »
Qu’est-ce qu’on fait ?
Alors il a fini par se rendre à l’évidence. Et ce faisant, s’est assis avec son ex (« je suis un gars loyal », répète-t-il) pour lui exposer l’étendue des dégâts : « on s’aime, qu’est-ce qu’on fait ? » Réaction ? « Elle a pété sa coche… »
Je n’ai jamais ressenti ce genre d’amour-là. Avoir toujours envie d’être avec l’autre. Quand tout t’intéresse de l’autre. La trouver de plus en plus belle. On ne passait jamais assez de temps ensemble. Je trouvais toujours que les deux autres étaient de trop…
Stéphane
Et non, il ne s’est jamais senti ici coupable. Il faut se remettre dans le contexte : échangisme oblige, son ex n’était pas laissée pour compte. « Elle prenait son plaisir, fait-il valoir. De son côté, le sexe était très intense ! »
N’empêche. La situation est devenue si critique que les deux couples, d’un commun accord, ont décidé de ne plus se voir. « Pour respecter nos conjoints respectifs. »
Silence radio pendant un an.
Bilan ? Stéphane en a fait une dépression. « J’ai bu beaucoup d’alcool, et mon couple a commencé à se dégrader. » Mais Stéphane refusait d’y croire. « Moi, dans ma tête, j’avais la vie parfaite. Une belle maison, une belle job, une blonde que j’aime. Dans ma tête, j’étais là pour 30 ans ! »
Évidemment, l’histoire ne s’arrête pas là. Un an et demi plus tard, Stéphane et Stéphanie se revoient. « Je pensais naïvement qu’on pourrait être amis. » Mais la réalité le rattrape. Quasi instantanément. « J’étais tellement content de la voir. Je la trouvais belle. Je me sentais… comme à la maison ! » Un sentiment partagé, on l’aura deviné. Et désormais impossible à nier.
On vous épargne les détails, mais quelques mois plus tard, et après une douloureuse séparation, vaisselle brisée incluse, les deux amoureux emménagent ensemble. C’était il y a cinq ans. Ça semble presque trop beau pour être vrai, mais oui, ils filent le parfait bonheur depuis. « Je pensais que ça allait se calmer, mais absolument pas. C’est incroyable. On le fait souvent, et c’est le fun ! […] Si tout le monde avait ça dans sa vie, il y aurait moins de guerres ! », rayonne Stéphane. « J’ai rencontré une femme formidable ! »
Et l’échangisme, dans tout cela ? « Je n’ai plus le goût », conclut notre homme, en hochant la tête. Sans rien renier de ce qu’il a vécu, au contraire. Si c’était à refaire, il le referait. Il n’est tout simplement plus là. « Je ne sais pas si c’est l’âge. Ou parce que je suis bien ? Je ne sais pas… » Si l’occasion se présentait ? Ni oui ni non. « On verra… »
* Prénom fictif, pour protéger son anonymat
Derrière la porte | Une histoire d'échangisme qui finit mal - La Presse
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