En 1978, je suis parti de mon Gatineau natal et, entassé dans une Renault 5 avec « quatorze de mes amis », je suis allé voir le spectacle Sur le gazon, sous les étoiles, au parc Jarry. J’avais 17 ans, j’étais mince comme un clou, uniquement engraissé à la tisane et à de nombreux rêves. Ce marathon, qui commençait vers midi, rassemblait Garolou, Geneviève Paris, Raôul Duguay, Zachary Richard, Jim et Bertrand et plein d’autres.
L’apothéose de l’évènement était bien sûr Harmonium, qui est monté sur scène très tard. Je me souviens que Serge Fiori, dieu grec de la formation, portait une tuque sans doute tricotée avec de la laine d’alpaga filée par des Péruviennes adeptes de l’ayurvéda. Le groupe avait surtout offert les chansons du disque Fiori-Séguin.
Quarante-quatre ans plus tard, la musique d’Harmonium se fait de nouveau entendre, mais cette fois dans des fauteuils confortables et sous le toit du splendide Amphithéâtre Cogeco, à Trois-Rivières. Mardi soir avait lieu en grande pompe la première du spectacle Harmonium symphonique — Histoires sans paroles issu du disque du même titre lancé à l’automne 2020.
Contrairement au parc Jarry, je n’ai pas aperçu de ponchos en macramé, de jupes paysannes et de sabots de bois. En fait, le chic gratin montréalais s’était déplacé pour cet évènement produit par Nicolas Lemieux, qui met en vedette les 64 musiciens de l’Orchestre symphonique de Trois-Rivières et le Chœur des jeunes de Laval. Tout ce beau monde est dirigé par une Dina Gilbert très en forme.
Si vous avez écouté le disque, sachez que le spectacle reprend les mêmes pièces que Simon Leclerc a arrangées en s’inspirant des trois disques d’Harmonium. Je préviens tout de suite les puristes : l’amplification de l’orchestre est puissante. Mon ancien collègue, le regretté Claude Gingras, se serait sans doute évanoui en entendant ça, lui qui a toujours défendu le son naturel des orchestres.
J’ai reçu ce programme ambitieux (le spectacle fait près de deux heures) de la même façon que j’ai accueilli le disque. Je trouve qu’il y a des moments de grâce parmi les 20 pièces offertes. Mais aussi des instants qui sonnent carrément « fanfare ». Cela est particulièrement vrai dans les passages rythmés (Aujourd’hui, je dis bonjour à la vie, Un musicien parmi tant d’autres, Harmonium).
Heureusement, d’autres musiques de Serge Fiori, Michel Normandeau et Neil Chotem se glissent nettement mieux dans ce cadre « symphonique ». Le corridor, Le premier ciel, L’exil (qui nous offre la présence de Kim Richardson) et Comme un sage procurent une bonne dose de frissons.
Évidemment, Histoires sans paroles, la pièce de résistance du disque Si on avait besoin d’une cinquième saison, est celle qui passe le mieux la rampe. Cette œuvre (qui inclut la voix chaude de Luce Dufault, des décennies après celle de Judi Richards) est déjà en quelque sorte une petite symphonie.
Et puis, il faut se le dire, les musiques de Neil Chotem, le « septième membre du groupe », qui a élevé L’Heptade à un rang supérieur grâce à ses compositions et à ses arrangements, servent merveilleusement bien ce projet. Ce maître a su dès le départ, en 1976, intégrer dans le disque (véritable chef-d’œuvre de notre patrimoine discographique) la présence d’un grand orchestre.
Pour enrober tout cela, on a créé des projections qui accompagnent chacune des pièces au fond de la scène. Celles-ci ont été créées par Noise Head Studio. C’est un atout majeur au spectacle. Et puis, il y a cette mise en scène de Marcella Grimaux qui a semé une certaine perplexité chez moi. On fait descendre du plafond un homme assis sur un banc de parc qui représente en quelque sorte « le crisse de fou qui marche au-dessus d’la ville », l’être tourmenté et isolé imaginé par Fiori pour le disque L’Heptade.
Un jeune garçon, sorte de Petit Prince, apparaît. Il rejoint l’homme grâce à une immense échelle. L’image est forte, d’une poésie sans fin. Sauf que… On a l’impression qu’on ne sait pas quoi faire avec cette idée. Ça s’étiole. On attend qu’il se passe quelque chose, en vain. Après un moment, j’ai cessé de me demander ce qu’on tentait de me raconter pour me concentrer sur la musique.
À cela s’ajoutent des lapins qui vont et viennent sur scène de façon énigmatique. Plusieurs se sont demandé ce qu’ils faisaient là. En fait, il s’agit d’un joli clin d’œil à la pochette de Si on avait besoin d’une cinquième saison créée par Louis-Pierre Bougie, un fabuleux artiste visuel disparu en janvier 2021.
Malgré ces quelques bémols, on sent que le public a un plaisir immense à renouer avec la musique de ce groupe mythique. Il n’était pas rare d’entendre des gens fredonner des airs. La machine à souvenirs travaille fort.
Il faisait frais mardi. Le vent du fleuve faisait son œuvre. Mais on était bien. Les deux dernières années étaient soudainement loin derrière nous. En ce sens, ce spectacle vaut sans doute tous les vaccins du monde.
Spectateurs bavards
Avons-nous oublié comment nous comporter en société durant la pandémie ? Toujours est-il qu’il y avait plusieurs spectateurs bavards mardi soir. À côté de moi, verre d’alcool à la main, quatre spectateurs n’ont pas arrêté de discuter durant les deux heures du spectacle. Derrière moi, une femme chantait les paroles à voix haute.
On avait beau fixer ces gens avec un regard insistant ou leur faire signe de se taire, il n’y avait rien à faire. Ils étaient chez eux.
Dimanche dernier, je suis retourné voir le magnifique spectacle Pour une histoire d’un soir à la salle Maisonneuve. Des spectateurs sur le party ont lancé leur verre sur des gens qui leur demandaient de s’asseoir. Il s’en est suivi une escarmouche qui a duré de longues minutes. Tout cela durant une chanson particulièrement poignante de Joe Bocan.
C’était franchement gênant.
Un petit rappel pour ceux qui auraient oublié ce principe : à la maison, devant la télé, on a le droit de jaser. Dans une salle de spectacle ou de théâtre, on se ferme la trappe !
On s’entend là-dessus ?
La beauté de Trois-Rivières
L’un des plaisirs d’une visite à l’Amphithéâtre Cogeco, c’est qu’elle permet de pouvoir marcher dans les rues du centre-ville de Trois-Rivières avant le spectacle. Dieu que cette ville est belle ! La rue des Ursulines est sans doute l’une des plus belles avenues du Québec.
Une chose m’a frappé et c’est la façon dont les propriétaires des immeubles historiques de la rue des Forges rénovent et bichonnent leur propriété. Rien à voir avec ceux de la Plaza Saint-Hubert ou d’autres rues de Montréal qui laissent pourrir leurs immeubles pendant des décennies en attendant d’empocher le pactole.
Harmonium symphonique — Histoires sans paroles
À l’Amphithéâtre Cogeco, jusqu’au 4 juin
Harmonium symphonique | Harmonium toujours sous les étoiles | La Presse - La Presse
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