Lors d’un bref entretien avec La Presse, jeudi en matinée dans une suite du Sofitel, Ginette Reno confiait avoir « le goût de faire trois, quatre folies avant de s’en aller de l’autre bord ». Des folies comme quoi ? « Faire l’amour. » Son souhait se matérialisait quelques heures plus tard – façon de parler – alors que la République française faisait la tendresse à l’icône en lui décernant la Légion d’honneur.
« Puisse cette décoration être un nouveau jalon de votre contribution à la culture et à l’amitié qui nous unit, et la preuve que Paris et la France continueront à vous sourire éternellement », a déclaré la consule générale de France à Montréal, Sophie Lagoutte, en paraphrasant les paroles de la chanson Paris Québec (1985), lors d’une cérémonie tenue jeudi après-midi devant famille, amis et médias.
Fidèle à son absence habituelle d’inhibition, l’essentielle chanteuse, qui célébrait son 76e anniversaire jeudi, n’a pu se retenir de précéder son élégant discours de remerciement d’un aveu qui ne pourrait davantage lui ressembler : « Je tremble de partout présentement… J’ai même le gras des fesses qui me tremble. »
Mais parce qu’avec l’intense interprète, il est possible de passer d’un extrême à l’autre du spectre des émotions en un instant, c’est en réprimant un sanglot qu’elle regrettait quelques secondes plus tard que ses parents ne puissent être à ses côtés. « J’aurais aimé qu’ils soient toujours vivants pour partager avec eux mon incrédulité, mais aussi ma joie et ma gratitude. »
Comment entend-elle remercier la République ? Après avoir entonné le début de Douce France, Ginette Reno s’est adressée à la mère patrie en la tutoyant : « Tu sais peut-être qu’il m’est arrivé souvent de chanter l’hymne national au Centre Bell. Alors si t’as besoin de quelqu’un pour chanter ta Marseillaise, sous la tour Eiffel ou au Parc des Princes ou partout ailleurs, sache que tu pourras toujours compter sur moi. »
Grâce à deux admiratrices
C’est en grande partie grâce aux démarches de deux admiratrices que Ginette Reno s’est jointe jeudi aux Gilles Vigneault, Michel Tremblay, Céline Dion, Claude Léveillée et Diane Dufresne, eux aussi chevaliers de l’Ordre de la Légion d’honneur, la plus haute distinction française.
Après avoir assisté en 2017 à un spectacle de son idole d’enfance au Centre Vidéotron, Chantal Lefebvre, qui vit dans la région de Dunkerque, enrôlait son amie Christyne Cardon, qui vit dans la région parisienne, afin que l’artiste reçoive cette prestigieuse récompense, espoir qui se concrétisait grâce à l’intervention d’un autre admirateur de la Québécoise, le maire de Boulogne-sur-Mer, Frédéric Cuvillier.
Les amies, présentes jeudi, avaient traversé l’océan spécialement pour assister à l’évènement. « On aime l’humanité de Ginette », a dit Mme Cardon, en n’utilisant que le prénom de la star, comme s’il s’agissait d’une intime. « Ginette est très généreuse, très entière. »
La nouvelle Piaf
Lors d’un tête-à-tête joyeusement échevelé avec La Presse, quelques heures avant qu’elle ne soit décorée, Ginette Reno se remémorait avec sa légendaire (et souvent hilarante) faconde sa relation avec la France, qui aura connu ses temps forts durant les années 1980, alors qu’elle visitait fréquemment le plateau de l’émission Champs-Élysées de Michel Drucker. J’ai besoin de parler (1984), créée par Luc Plamondon et Diane Juster pour la pièce Dis-moi le si j’dérange de Janette Bertrand, demeure là-bas son plus gros tube, bien que sa carrière n’y ait jamais eu la même ampleur qu’au Québec. « J’ai rien fait pour que ça décolle. »
Elle a 21 ans lorsqu’elle chante pour la première fois à l’Olympia en 1967, à l’occasion d’un récital intitulé le Music-hall canadien. « J’avais perdu beaucoup de poids, j’étais belle comme un cœur, et j’avais acheté une robe très sexy. Je voulais montrer mes jambes. Quand je suis montée sur scène, Bruno Coquatrix [directeur de l’Olympia] m’a arrêtée et il m’a dit : “Mais il ne faut pas mettre une robe comme ça, vous êtes la nouvelle Piaf. » Il m’a emmenée magasiner et m’a fait acheter une de mes plus belles robes, une robe maxi. »
Puis Ginette se lève de son fauteuil et pousse à plein volume les premières lignes de Mon vieux Lucien et de C’est peut-être ça. « Quand Piaf chantait “C’est peut-être ça l’amour d’aller se foutre à l’eau”, je te jure, t’avais l’impression qu’elle se noyait pour vrai. C’est ça qu’elle m’a enseigné : il faut que tu saches ce que tu chantes et que tu le chantes avec intensité. »
Qu’est-ce qui occupe Ginette Reno ces jours-ci ? La grande dame ne savait toujours pas si elle serait conviée aux funérailles de Guy Lafleur, mais annonçait jeudi la parution cet automne d’un nouvel album, déjà enregistré.
Pourra-t-on y entendre un duo avec son ami Loud ? Il faudra continuer de rêver. « Ah, mon Dieu ! Il est assez particulier lui, hein ? Il ne parle pas beaucoup. J’ai passé deux jours avec lui [lors du tournage des publicités d’Uber Eats] et j’ai tout essayé pour le dérider. J’ai même pensé me déshabiller toute nue. S’il avait vu comment Dieu m’a faite, peut-être que j’aurais eu une réaction. »
Légion d'honneur | La France fait la tendresse à Ginette Reno - La Presse
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