Plus on est de fous, plus on lit quittera les ondes au sommet de ses cotes d’écoute après 11 saisons, ce qui cause un petit vent de panique et un deuil certain dans le monde littéraire, sauf peut-être chez les plus bougons. Il n’y avait pas d’équivalent au Québec d’une émission consacrée aux livres pendant deux heures, cinq jours par semaine, si bien que des écrivains de toutes les générations ont défilé au micro de Marie-Louise Arsenault pendant une décennie. Certains, même, y sont nés.
On sentait aussi l’émotion de l’animatrice quand elle a appris à ses auditeurs mardi qu’il ne restait plus que deux mois à l’émission, puisqu’elle pilotera à l’automne un nouveau talk-show de radio intitulé Tout peut arriver. Beaucoup de gens qui ne sont pas forcément de grands lecteurs ne rataient pas son rendez-vous quotidien, et c’est précisément ce que j’aimais de Plus on est de fous, plus on lit : les livres avaient une présence tous les jours dans un créneau consacré, comme le sport.
Mais qu’est-ce que c’était, au fond, Plus on est de fous, plus on lit ? Un concept imaginé par Marie-Louise Arsenault et sa collègue de longue date Marie-France Lemaine, où le livre sous toutes ses formes est au cœur de discussions qui s’adressent au plus grand nombre, le tout enrobé d’une signature sonore plutôt éloignée de la musique d’Erik Satie qu’on plaque souvent sur ce qui est « culturel ». Ça ne plaisait pas à tout le monde, certes, mais ça rejoignait vraiment beaucoup de gens. On y parlait aussi d’enjeux sociaux, de séries télé, de mots en vogue, et il y avait les cabarets du vendredi, mais la lecture et l’écriture étaient toujours en vedette.
C’est la durée en particulier qui impressionne, quand les émissions culturelles, et encore plus les émissions littéraires, ne font généralement pas long feu au Québec. Marie-Louise en sait quelque chose, ayant animé la défunte émission Jamais sans mon livre. En tout cas, Plus on est de fous, plus on lit offrira à la postérité des archives précieuses de la décennie 2010 pour les lettres d’ici et même d’ailleurs.
Pour Marie-Louise Arsenault, que j’ai attrapée au téléphone alors qu’elle sortait d’une heure d’entretien avec Robert Lepage, c’est surtout un grand morceau de sa vie. « J’ai eu tellement de fun à faire ça et j’en ai encore. Ce n’est pas parce que je n’ai plus de plaisir que je quitte. Les gens à cette émission se donnent tellement, ils passent leurs week-ends à lire, ils s’investissent de façon créative. »
Plus on est de fous, plus on lit est son bébé et sa famille. Marie-Louise confie qu’avec Marie-France Lemaine, elles ont tergiversé jusqu’à la dernière minute avant de prendre la décision de se lancer dans une nouvelle aventure, ce talk-show de trois heures nommé Tout peut arriver, qui sera diffusé de 16 h à 19 h les samedis (ce qui confirme en même temps que c’est vraiment la dernière saison de La soirée est [encore] jeune pour ceux qui en doutaient encore).
« J’ai surtout envie de créer autre chose. Je ne suis pas quelqu’un de très impulsif, j’y réfléchissais depuis deux ans. J’étais rendue là. Nous savions que nous disposions d’une plateforme exceptionnelle et d’un lien de confiance avec les écrivains. Ça ne changera pas. C’est trop important dans ma vie. Ça fait partie de tout ce que j’ai fait et ce sera au cœur de tout ce que je vais faire. Quand on aime lire, on lit. »
Marie-Louise Arsenault ne lâchera pas les livres, puisqu’elle compte leur donner une bonne place à Tout peut arriver, et qu’elle continuera d’animer l’annuel Combat des livres (celui des livres jeunesse aussi), en plus de mener des séries d’entretiens avec des écrivains qui seront proposées à Noël et à l’été. En revanche, plusieurs se demandent s’il existera une émission spécifiquement littéraire à la radio publique. Marie-Louise Arsenault ne sait pas ce qui occupera sa case horaire, mais personne ne va lui succéder à la barre de Plus on est de fous, plus on lit, car c’était sa création, taillée sur mesure. « Personne n’aurait voulu faire ça de toute façon. Je suis aussi une réalisatrice et une conceptrice, c’est un show très personnel. »
Elle poursuivra l’animation de Dans les médias à Télé-Québec en même temps que Tout peut arriver, qui sera conçu, dit-elle, comme un crescendo. On accompagne les auditeurs pour leur 4 à 7 du samedi, après tout. « L’atmosphère voulue est une vraie revue de la semaine, sociale, politique et culturelle », explique-t-elle. Ainsi, la première heure serait consacrée à l’actualité, et elle confirme que Jean-Philippe Cipriani se joindra à l’équipe ; la deuxième heure à la culture, la société et les discussions franches, et en troisième heure, « le flyé total », dit-elle. « Un vrai band en direct qui groove à fond. Ce sera un happening dans le vrai sens du terme. »
N’est-ce pas ce qu’elle a fait avec le livre pendant 11 ans, un happening régulier ? Ce dont elle est le plus fière de Plus on est de fous, plus on lit est d’avoir tendu le micro à un milieu qui ne l’avait pas beaucoup. « Avec cette émission, j’ai pu faire ce que je voulais, de A à Z. Je suis fière d’avoir donné la parole à un paquet de gens inconnus, qui n’avaient pas d’espace médiatique, d’avoir donné à plein de monde des chances de se faire connaître, d’avoir permis à des écrivains de s’exprimer et de lire leurs œuvres, de faire travailler l’imaginaire des gens, et ce n’était pas que pour les happy few. »
Avec Marie-Louise Arsenault, tout peut arriver - La Presse
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