Leda Caruso a comme moi 48 ans et deux enfants. Ce n’est pas la seule raison pour laquelle je me suis identifié à ce personnage d’Elena Ferrante, que porte à l’écran Maggie Gyllenhaal dans The Lost Daughter (à l’affiche vendredi prochain avant d’atterrir sur Netflix à la fin du mois).
Dans cette adaptation du roman Poupée volée (La figlia oscura), publié en 2006 – c’est-à-dire avant la merveilleuse saga L’amie prodigieuse –, Olivia Colman incarne Leda, une prof de littérature comparée qui décide de partir en vacances seule à la mer, dans une île grecque.
Leda y rencontre Nina (Dakota Johnson), jeune mère qui n’en peut plus des demandes répétées (pour aller jouer, pour se baigner, etc.) et des crises de larmes incessantes de sa fille de 2 ans, Elena. Ce qui replonge Leda dans les souvenirs pas toujours roses de sa propre maternité, à l’époque où ses filles n’avaient pas encore l’âge de raison.
Maggie Gyllenhaal, comédienne bien connue qui scénarise et réalise son premier film – prix du scénario à la Mostra de Venise –, laisse pleurer les filles de Leda (en retours en arrière) et de Nina longuement à l’écran, afin que les spectateurs eux-mêmes soient exaspérés par ces complaintes lancinantes et chuintements irritants. Ça fonctionne…
Les fillettes réclament constamment l’attention de leur mère respective. Elles veulent être diverties, cajolées, tenues dans leurs bras sans interruption ni considération pour les maux de dos que cela occasionne. Elles sont parfois capricieuses, égoïstes, agressives, violentes même.
Un jour, Elena perd à la plage sa poupée adorée. Elle est inconsolable. Elle ne dort plus la nuit, fait des crises le jour. Nina est épuisée, au bout du rouleau et au bord de la crise de nerfs. Comme l’était du reste Leda au même âge. On nous la présente 20 ans plus tôt (incarnée par Jessie Buckley), tentant péniblement de travailler à sa thèse dans un appartement encombré, pendant que ses filles s’amusent à s’énerver, à claquer une porte française et à faire éclater un carreau de verre pour une peccadille.
Bien des parents ont vécu pareils épisodes, à divers degrés, certains plus sereinement que d’autres. Je me suis reconnu dans ce tableau peu reluisant.
Rien ne nous prépare à l’exercice de patience extrême qu’est la parentalité. Au contrôle de soi requis pour laisser se résorber une crise du bacon d’un enfant de 3 ans dans un endroit public. À l’abnégation nécessaire pour traverser dans la zénitude l’épreuve d’un petit corps qui se crispe et se raidit à la vue d’un habit de neige qu’il faudra inévitablement lui enfiler.
À la gestion calme, posée et responsable d’une dispute provoquée par un grand frère qui décide, pour son malin plaisir, parce qu’il s’ennuie, de taquiner son frère jusqu’à ce qu’il sorte de ses gonds, à l’arrière d’une voiture, pendant un long trajet vers une destination de vacances. Rien.
Une amie, qui a des ados du même âge que les miens, me disait récemment qu’elle revivrait volontiers ces années magiques de la petite enfance. Pas moi. Évidemment que j’ai parfois la nostalgie de leurs mains potelées, de leurs éclats de rire candides et des attaques de bisous sur leurs joues douces et fraîches. Mais de ces sautes d’humeur spontanées, de ces impulsions incontrôlées, de ces pleurs lancinants, pas le moindrement.
Je repense parfois avec regret aux fois où j’ai perdu patience avec mes garçons et j’ai honte de certaines de mes réactions. Les demandes polies devenant des supplications répétitives, puis des ordres fermes et des cris exaspérés. Le visage empourpré, les yeux exorbités, je n’ai jamais cassé de vitre, mais j’ai claqué des portes. Cela me semble un bien lointain souvenir.
Cette semaine, j’ai croisé quantité de jeunes parents excédés par la combinaison absolument pas gagnante de pandémie-télétravail-grève des employés des CPE. Ces parents ont eu beau être solidaires des éducateurs et éducatrices qui s’occupent au quotidien de leurs enfants, et espérer pour eux de meilleures conditions, ils ont été les victimes collatérales de ce conflit de travail.
Beaucoup ont été poussés ces derniers temps dans leurs derniers retranchements. La pandémie les a laissés depuis près de deux ans à court de ressources, isolés, parfois sans soutien de leur famille élargie pour prendre le relais et leur accorder du répit.
Gérer le flot incessant de demandes d’enfants qui requièrent une présence parentale discontinue, ne veulent rien entendre des doléances des adultes et ne peuvent comprendre, de toute manière, le sens de l’expression « sois raisonnable », est excessivement taxant. Devant cette charge, à force de vouloir tout faire, bien des parents perdent leur calme ou deviennent des zombies.
Un jeune collègue me racontait cette semaine, alors que son appartement est en rénovation et que les CPE sont fermés, qu’il profitait des siestes et des courtes nuits de son fils de 2 ans pour écrire ses articles. Il avait des cernes jusqu’au menton.
La pandémie a été difficile pour tout le monde, bien sûr. Notamment pour les parents qui ont dû télétravailler pendant des mois, de jeunes enfants à leurs côtés. Et qui doivent encore le faire aujourd’hui, en raison de grèves ou de cas déclarés de COVID-19 à l’école ou à la garderie. Voir The Lost Daughter m’a rappelé qu’il fallait être indulgent avec eux. Et avec les parents de jeunes enfants que nous avons nous-mêmes été.
Mères au bord de la crise de nerfs - La Presse
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