Il y avait Bébel et Belmondo. L’acteur et son double. Le héros de films populaires et l’égérie de la Nouvelle Vague. Jean-Paul Belmondo, monstre sacré du cinéma français, adulé par le public, est mort lundi à Paris. Il avait 88 ans.
En plus de 50 ans de carrière, Belmondo aura tourné dans quelque 80 films, convaincant autant comme flic qu’en voyou, pour emprunter le titre du film de Georges Lautner. C’est à la fin des années 1950, à la faveur d’une rencontre déterminante avec le critique Jean-Luc Godard, que Jean-Paul Belmondo devient l’un des acteurs fétiches du cinéma d’auteur européen. Godard lui propose un rôle de jeune séducteur dans son fantasque court métrage Charlotte et son jules.
« Venez dans ma chambre d’hôtel, on tournera et je vous donnerai 50 000 francs », aurait dit Godard à Belmondo, après l’avoir croisé dans la rue, fasciné par sa dégaine, son bagout et son physique de boxeur, à commencer par son nez busqué. Belmondo, craignant que l’invitation du cinéaste ne dissimule d’autres desseins, est tout de même monté à sa chambre. Ainsi est née leur collaboration, qui a produit quatre films, dont À bout de souffle, sur un scénario plus ou moins improvisé (d’après une idée de François Truffaut), avec Jean Seberg en vendeuse à la criée de l’International Herald Tribune.
Jean-Paul Belmondo, de retour d’un court service militaire en Algérie, a alors 26 ans et le goût du risque (davantage que son agent, qui le met en garde contre « la pire décision de sa carrière »). Grâce au personnage de Michel Poiccard, petit délinquant séduisant, Belmondo, qui a joué, l’année précédente, dans À double tour de Claude Chabrol, devient, à l’instar de Jeanne Moreau ou de Jean-Pierre Léaud, l’un des visages de la Nouvelle Vague. Le personnage de Poiccard est à son image : à la fois insolent et charmeur, fêtard et élégant, sauvage et gentleman, rebelle et conventionnel, comique et dramatique. Double.
Hormis À bout de souffle, Belmondo tourne pas moins de six films en 1960 (avec notamment Henri Verneuil, Claude Sautet, Vittorio De Sica et Peter Brook). L’année suivante, il retrouve Godard pour la comédie sentimentale Une femme est une femme et en 1965, alors qu’il tient le rôle principal de son chef-d’œuvre Pierrot le fou, rocambolesque histoire d’amour aux côtés d’Anna Karina, Belmondo est déjà une star.
Dans les années 1960, le jeune comédien tourne dans près de 40 films. Les cinéastes réputés se l’arrachent.
De Jean-Pierre Melville (Léon Morin, prêtre) à François Truffaut (La sirène du Mississippi), en passant par Louis Malle (Le voleur), John Huston (il fait une apparition dans Casino Royale) et Claude Lelouch (Un homme qui me plaît). Le cinéma populaire découvre aussi en lui une tête d’affiche appréciée de tous. Après les succès populaires de L’homme de Rio (qui inspira le personnage d’Indiana Jones à Steven Spielberg) ou encore du Magnifique de son ami Philippe de Broca, Belmondo délaisse le cinéma d’auteur et se concentre sur la carrière de celui que les Français ont affectueusement baptisé Bébel.
Il devient un abonné de comédies légères, films d’action, polars et films policiers faits sur mesure pour lui (et qu’il finit d’ailleurs par produire lui-même). Belmondo incarne des rôles physiques pour lesquels il est sa propre doublure, son propre cascadeur. Borsalino de Jacques Deray, Le professionnel de Georges Lautner, L’as des as de Gérard Oury ou encore Hold-up d’Alexandre Arcady, campé à Montréal en 1985, sont des succès commerciaux retentissants. Les Français embrassent sans exception tout ce que Bébel leur propose pendant deux décennies mais, à la fin des années 1980 (et l’échec du Solitaire de Deray), son succès s’effrite. Il conservera jusqu’à la fin de sa vie l’affection indéfectible des Français – devenant en quelque sorte le Johnny Hallyday du cinéma français –, mais ne les attirera plus en salle en aussi grand nombre.
« Avec la tête que vous avez, vous ne pourrez jamais plaire aux femmes », lui avait prédit un professeur du Conservatoire alors qu’il avait 18 ans. Il avait tort. Belmondo avait une gueule de cinéma, et le public s’est beaucoup intéressé à ses histoires sentimentales. À sa grande histoire d’amour avec la comédienne italienne Laura Antonelli ou encore à sa liaison avec la Bond Girl Ursula Andress, qui mit un terme à son mariage avec Élodie Constantin (avec qui il a eu trois enfants, dont une fille, Patricia, morte en 1994). Belmondo s’est remarié en 2002 avec Nathalie Tardivel, dont il était séparé depuis 2008. Ils ont eu une fille, Stella, née en 2003.
Au sommet de sa popularité, dans les années 1970, Belmondo, qui parle mal l’anglais, se refusa à une carrière américaine. Il n’a pas eu le rayonnement international d’Alain Delon, à la fois son grand ami et son grand rival, dans la vie et à l’écran. Il a eu une relation d’amitié moins complexe avec la bande d’acteurs qu’il a connus au Conservatoire et avec qui il fait les 400 coups : Jean Rochefort, Jean-Pierre Marielle, Bruno Cremer, Claude Rich, tous disparus avant lui.
Contrairement à Alain Delon, Belmondo s’est tenu loin de la politique. « Je joue pour tous les publics, les communistes, les royalistes, les tout ce qu’on veut. Je n’ai pas à influencer les gens. Le métier d’acteur sert à les divertir et pas à leur mettre des idées dans la tête », avait-il déclaré en 1971.
Né dans la banlieue parisienne cossue de Neuilly-sur-Seine, dans une famille d’artistes (son père était sculpteur et sa mère, peintre), Jean-Paul Belmondo a toujours navigué entre les deux pôles que sont l’art et la culture populaire. Cette dualité qui a marqué sa carrière. Il préférait lire les pages sportives des journaux plutôt que les grands textes du théâtre mondial lorsqu’il était étudiant au Conservatoire.
Il était conscient d’être parfois à contre-courant et ne craignait pas l’autodérision, dit-on, ce qui le rendait encore plus attachant aux yeux du grand public.
La critique ne l’a pas toujours ménagé, certains mettant même sur le compte du malentendu ou de l’accident de parcours son ascension liée à celle des auteurs de la Nouvelle Vague. Il n’obtint qu’un seul César, celui du meilleur acteur, pour Itinéraire d’un enfant gâté de Lelouch, en 1988. Au tournant des années 90, après une série d’insuccès au cinéma, il est devenu propriétaire du Théâtre des Variétés, trouvant refuge au théâtre, où il avait fait ses modestes débuts, après un hiatus de 30 ans.
Sa fin de carrière fut sans éclats. Le dernier film dans lequel je l’ai vu au cinéma, Peut-être de Cédric Klapisch, récit futuriste peu convaincant, le mettait en scène dans un rôle de bouffon auquel il avait été plus ou moins réduit depuis une décennie. Belmondo fut victime d’un AVC en 2001, ce qui l’a tenu pendant 20 ans loin de la scène et des plateaux, sauf en de très rares exceptions. Il raconta ses souvenirs en 2016 dans Mille vies valent mieux qu’une. Un titre qui, décidément, le décrit bien.
Belmondo et son double | La Presse - La Presse
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