« Force tranquille », « ciment du groupe », « grand architecte de la musique » : le taiseux Charlie Watts, batteur et véritable « roc » des Rolling Stones, est mort mardi à Londres à l’âge de 80 ans, a annoncé son agent, ce qui a suscité de nombreux hommages au Québec et dans le monde entier.
« C’est le socle de la musique des Stones », lance André Ménard, cofondateur du Festival international de jazz de Montréal et de L’Équipe Spectra, au téléphone. Le mélomane, qui a assisté à 57 concerts du groupe rock britannique, a accueilli l’annonce de la mort de Charlie Watts avec tristesse et nostalgie alors qu’il était au volant. Il ne se doutait pas, en 2019, qu’il voyait sur scène le batteur flegmatique pour la dernière fois.
« C’est avec une immense tristesse que nous annonçons le décès de notre cher Charlie Watts », a indiqué dans un communiqué son agent, Bernard Doherty, précisant qu’il était mort « paisiblement dans un hôpital de Londres plus tôt dans la journée, entouré de sa famille ».
« Charlie était un mari, un père et un grand-père très apprécié et aussi, en tant que membre des Rolling Stones, l’un des plus grands batteurs de sa génération », a estimé M. Doherty.
Un porte-parole de l’artiste avait annoncé début août qu’il ne participerait pas à la tournée américaine du groupe, prévue pour l’automne, pour des raisons médicales. « Charlie a subi une intervention couronnée de succès », mais ses médecins estiment qu’il a besoin de repos, avait-il indiqué à l’époque, sans autre précision. André Ménard, qui avait reçu la nouvelle durement, croit a posteriori qu’il s’agissait d’une « diversion » pour ne pas apeurer les fans sur l’état de santé réel du musicien.
En 2004, M. Watts avait été soigné pour un cancer de la gorge à l’hôpital Royal Marsden de Londres, dont il s’était remis après quatre mois de lutte, dont six semaines de radiothérapie intensive.
Tout comme André Ménard, Laurent Saulnier, vice-président à la programmation et production de L’Équipe Spectra, a assisté à plusieurs performances de Charlie Watts. « La première qualité d’un drummeur, à mon sens, c’est la simplicité, dit-il. Je trouve que Charlie était le meilleur à ce chapitre-là. Pas besoin d’avoir 22 tambours. Tu en as trois, ça suffit. Tu fais tout ce que tu peux avec, et c’est parfait comme ça. »
Une personnalité Watts
Le batteur, qui avait fêté ses 80 ans en juin, était membre des Rolling Stones depuis 1963. Avec le leader Mick Jagger et le guitariste Keith Richards, Charlie Watts faisait partie des plus anciens membres de la célèbre formation, qui a vu défiler Mick Taylor, Ronnie Wood ou encore Bill Wyman.
Avec son visage impassible et son talent unanimement reconnu en matière de rythmique binaire, il offrait sur scène un contrepoint aux déhanchements frénétiques de Mick Jagger et aux pitreries électriques des guitaristes Keith Richards et Ronnie Wood.
« Même si les riffs de Keith Richards sont souvent magiques, il reste que l’édifice des Stones s’appuyait sur ce drum-là, croit Laurent Saulnier. C’est la fondation, je pense, de 99 % de leurs tounes. J’irais plus loin : Charlie était aussi le ciment des Stones. C’est probablement grâce à lui si le band existe depuis plus de 50 ans. Et c’est probablement grâce à lui si toutes les chicanes dans le band se sont amoindries au fil des ans. »
Guillaume Ethier, batteur qui joue entre autres aux côtés de Pierre Lapointe, Philippe B, Jimmy Hunt, Évelyne Brochu et Félix Dyotte, fait d’abord remarquer que Charlie Watts a su insuffler sa personnalité à l’ensemble du groupe. « C’est souvent Keith Richards qui mène, mais Watts est légèrement en arrière. C’est très, très subtil. Le drum n’est pas en train de tirer le reste du groupe, mais il suit la guitare d’une certaine façon. Ça crée une espèce de vide super dur à décrire et à reproduire. »
Sur une pièce du groupe Chocolat, Cette fois c’est la bonne, le batteur explique avoir sciemment voulu adopter l’esprit Charlie Watts, qui trimballait son vieux Gretsch aux ajustements « très jazz ».
Il joue sur une espèce d’entre-deux dans le groove, qui est assez près du blues. Il y a une sorte de pulsion interne, très humaine. C’est la personnalité du musicien qui traverse l’instrument. C’est presque impossible à imiter.
Guillaume Ethier, musicien
Ceux qui voient Guillaume Ethier manier les baguettes verront aussi un écho à Charlie Watts, qui a jadis adopté la « traditional grip » des fanfares et des musiciens jazz, par opposition à la plus populaire « matched grip ». « Ça me permet de jouer plus subtilement, dit le musicien. Ça me met dans un état d’esprit un peu différent. » Charlie Watts avait le pied et la baguette légers, précise-t-il.
Jalon marquant dans l’histoire récente du Festival d’été de Québec, la venue des Rolling Stones en 2015 avait été précédée de négociations « ardues », se souvient le directeur de la programmation de l’évènement, Louis Bellavance, en entrevue avec Le Soleil. La visite des légendaires rockeurs s’est au contraire déroulée sans heurts.
« Ces gars-là ont été extrêmement agréables, faciles, conciliants, accessibles, évoque M. Bellavance. Et sans doute le plus gentil d’entre tous a été Charlie Watts. C’est connu et reconnu. Et ce n’est pas surfait, ce n’est pas juste une image. Depuis le début, il est le quiet Rolling Stone, comme George Harrison était le quiet Beatle. »
« Stable comme un roc »
C’était « l’homme le plus élégant et d’une si brillante compagnie », s’est ému en ce « jour très triste » le chanteur Elton John, offrant dans un tweet ses condoléances à Shirley Shepherd, femme de Watts depuis 50 ans, et à leur fille Seraphina, avec qui il passait une vie sereine dans leur haras pour pur-sang arabes du Devon, dans le sud de l’Angleterre.
« Que Dieu bénisse Charlie Watts, tu vas nous manquer », a salué sur Facebook le batteur des Beatles, Ringo Starr, gratifiant la famille du défunt d’un « peace and love ».
« C’était un gars adorable », a ajouté dans une vidéo diffusée sur Twitter l’autre Beatle, Paul McCartney. « Mes condoléances aux Stones, ce sera un coup dur pour eux, car Charlie était un roc, et un batteur fantastique, stable comme un roc », a-t-il ajouté.
La personnalité calme de ce grand taiseux a été saluée par de nombreux grands noms du rock’n’roll. Ce « géant tranquille », d’après son homologue chez The Police, Stewart Copeland, était « le batteur le plus élégant et le plus digne du rock’n’roll », a affirmé la chanteuse Joan Jett.
Le groupe Kiss, le chanteur d’Oasis, Liam Gallagher, ou encore Tom Morello, guitariste du groupe Rage Against the Machine, font partie des nombreux autres artistes à avoir salué le départ de Charlie Watts, cet « incroyable musicien » et « l’un des plus grands architectes de la musique » que le rock’n’roll a connus.
Autodidacte « à la jazzman »
Né le 2 juin 1941 à Londres, cet autodidacte en batterie avait commencé à jouer à l’oreille, en regardant les joueurs dans les clubs de jazz londoniens. « Je ne suis jamais allé dans une école pour apprendre à jouer du jazz, avait-il confié. Ce n’est pas ce que j’aime. Ce que j’aime dans le jazz, c’est l’émotion. »
Tout au long de sa carrière avec les Rolling Stones, il épouse le genre en parallèle. Il enregistre plusieurs disques sous son nom avec un quintette (Charlie Watts Quintet) puis un dixtuor (Charlie and the tentet Watts).
C’était un batteur de jazz qui a tenu jusqu’à la fin ses baguettes à la jazzman. Il a continué à faire du jazz à travers tout ça aussi. Il avait ce look-là, ça clashait un peu, mais il amenait cet équilibre. C’était très particulier d’avoir sa contribution à lui. Il ne prenait pratiquement jamais la parole. Il était plus réservé, mais il était toujours là.
Louis Bellavance, du Festival d’été de Québec
Adoubé au 12e rang des meilleurs batteurs de tous les temps par le magazine Rolling Stones, Charlie Watts ne s’émouvait qu’assez peu d’une éventuelle séparation du groupe légendaire, reconnaissant avoir eu plusieurs fois envie lui-même de le quitter. Certains croient que la mort du batteur pourrait sonner le glas de la mythique formation. « Que Charlie ne soit pas là pour le restant de la vie des Stones, j’ai l’impression que beaucoup de fans vont décrocher s’ils repartent en tournée », souligne Laurent Saulnier.
« Une force tranquille émanait de ce gars-là, poursuit-il. En show, il ne souriait pas souvent, mais chaque fois qu’il le faisait, on assistait à un moment magique. On avait l’impression qu’il était content de faire la job qu’il faisait, de jouer la toune qu’il jouait. C’est ce sourire-là qui cimentait probablement l’affaire. Cette espèce de – pardonnez-moi le mot – satisfaction. »
Avec l’Agence France-Presse et Le Soleil
Charlie Watts 1941-2021 | Les Stones perdent leur roc - La Presse
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