Lundi, je buvais une limonade sur la terrasse du Café Bonaparte, à Paris, quand j’ai vu un vieux monsieur marcher à petits pas et s’asseoir juste devant moi.
« Je pense que c’est Frederick Wiseman, dis-je à mon fils.
— Qui ?
— Frederick Wiseman, l’un des plus grands sinon LE plus grand réalisateur de documentaires de toute l’histoire du cinéma... »
C’était effectivement lui.
Impressionné de voir une telle légende devant moi (l’homme a 91 ans et a tourné une cinquantaine de films), j’ai pris mon courage à deux mains et échangé quelques mots avec lui...
LA MÉTHODE WISEMAN
Cette rencontre est tombée d’autant plus à point que je voulais justement écrire une chronique sur les documentaires.
Enfin, ce qu’on présente aujourd’hui comme des documentaires, mais qui ne sont trop souvent que des pamphlets, des films à thèse, des œuvres à charge...
Savez-vous comment travaille Frederick Wiseman ?
Primo, il se pose une question toute simple : comment ça se passe dans un hôpital ? Dans les coulisses d’un opéra ? Dans une cour de justice ? Ou dans un poste de police ?
Qu’est-ce qu’il se passe, dans ces endroits protégés du regard public ? Comment les gens y travaillent, comment le système fonctionne ?
Wiseman n’a pas d’idée préconçue ni de thèse à défendre... Il ne commence pas son film en se disant : « Je veux prouver telle ou telle thèse, montrer qu’un tel est méchant ou qu’un tel est bon », non, il se lance dans son projet avec pour seul but de filmer le plus objectivement possible ce qui va se passer devant lui.
Une fois qu’il a choisi le lieu où il va tourner, il s’y rend et y passe plusieurs mois.
Sans caméra ni micro.
Il ne fait que regarder ce qui s’y passe. Sans dire un mot ni interviewer qui que ce soit.
Ce n’est qu’une fois qu’il s’est complètement imprégné de l’endroit qu’il commence à tourner. Pendant des mois. À imprimer des kilomètres et des kilomètres de pellicule, qu’il va transformer en un film de trois heures.
C’est ça, un documentaire de Frederick Wiseman.
Je dirais même : c’est ça, un documentaire, point.
LE MÉLANGE DES GENRES
Aujourd’hui, on dit que les films de Michael Moore (comme Roger and Me, Bowling for Columbine et Fahrenheit 9/11, qui a remporté la Palme d’or à Cannes) sont des documentaires !!!
Or, ces longs métrages n’ont rien à voir avec des documentaires !
Ce sont des films à thèse !
Un documentariste filme la réalité telle qu’elle est, sans intervenir et sans vouloir « transmettre un message ».
Alors qu’un pamphlétaire agit comme un militant. Il part avec une idée préconçue, interviewe des intervenants qui pensent exactement comme lui et met de côté tous les faits et toutes les entrevues qui vont à l’encontre de sa thèse !
Avant, on tournait beaucoup de documentaires au Québec et dans le monde. C’était la grande époque du « cinéma direct ».
Mais maintenant, on en tourne beaucoup moins. On préfère produire des films « coup de poing », des œuvres militantes, des pamphlets-chocs.
Ces films ont leur place, bien sûr.
Mais de grâce, qu’on ne les présente pas comme des documentaires !
C’est une insulte lancée aux géants du genre comme Frederick Wiseman.
Richard Martineau Des documentaires ou des pamphlets? - Le Journal de Montréal
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