Il existe plusieurs documentaires sur la crise d’Oka. Beans est, sauf erreur, le premier film de fiction inspiré par l’affrontement de presque 80 jours qui a profondément divisé la société québécoise au tournant des années 1990. Replonger dans ces évènements, trois décennies plus tard, pour les vivre de « l’autre » côté des barricades, est une expérience particulièrement troublante.
Tracey Deer, réalisatrice et coscénariste du film, s’est appuyée sur ses souvenirs pour le construire. La cinéaste mohawk avait à peine 12 ans lorsque la violence a éclaté à Oka. Comme son personnage principal, une jeune fille nommée Tekehenthakhwa (Kiawenti : io Tarbell, excellente) que tout le monde appelle Beans. Cet été-là marquera le début de son adolescence et un virage dans sa vision d’elle-même et du monde.
Au début du film, Beans passe une entrevue pour entrer au secondaire dans une bonne école. Sa mère, Lily (Rainbow Dickerson), tient à ce qu’elle ait une bonne éducation et devienne un agent de changement positif. La jeune fille est bonne élève. Jusque-là. L’insécurité provoquée par la crise l’incite toutefois à se rapprocher d’un groupe d’adolescents plus rebelles qu’elle perçoit comme des durs. Pas exactement le genre d’amis qu’on souhaite pour ses enfants.
La jeune Mohawk change alors son habillement, sa manière de parler et son attitude. Elle change aussi son regard sur les choses. Par la force des choses. Ce que Tracey Deer montre, c’est en effet un monde où, du jour au lendemain, le racisme se déchaîne. Où les bons voisins d’hier sont désormais hostiles. Où juste aller à l’épicerie devient carrément dangereux.
Cette haine, la réalisatrice ne l’a pas recréée en se fiant à ses souvenirs, elle n’a eu qu’à chercher dans les archives télévisuelles pour la retrouver et l’intégrer dans ses images à elle. Ces moments – puissants – renvoient une image pas très belle à voir de la société québécoise.
Et quand on regarde le convoi de voitures avec lequel Beans et sa famille tentent de quitter la réserve se faire lancer des pierres par des Blancs furieux, on a le sang glacé.
Dans le film, la scène est reconstituée. Mais ces images-là aussi, on les a vues aux nouvelles il y a 30 ans…
Tracey Deer montre sans filtre. Tend un miroir. Or, elle ne signe pas un film revanchard. Au contraire. Beans parle d’abord d’une jeune fille qui découvre la vie, les garçons, et expérimente sa liberté. Et nourrir le ressentiment, attiser le feu, ce serait contraire à la vision du monde défendue par Lily, l’autre personnage au cœur du film, qui croit au dialogue et à la nécessité pour les autochtones de se faire des alliés. Pas des ennemis.
C’est dans ce délicat équilibre entre franchise, sensibilité et quelque chose qu’on a envie d’appeler l’espoir qu’elle parvient à créer un film fort, où tout sonne juste. Beans est d’ailleurs admirablement servi par ses interprètes, criants de vérité. Kiawenti : io Tarbell d’abord, qui est d’un naturel désarmant, mais aussi le reste de la distribution, à commencer par Rainbow Dickerson et Paulina Alexis, qui joue April, nouvelle amie de Beans qui risque de l’entraîner du mauvais côté.
Tracey Deer ne s’attarde pas trop aux revendications territoriales (présentes en toile de fond, bien sûr) ni au jeu politique. Cela aussi sert bien son film. Elle montre ce qu’on n’avait pas vu ou trop peu vu jusqu’ici : les êtres humains qui se trouvaient de l’autre côté des barricades pendant que les discours haineux enflammaient l’opinion publique. C’était nécessaire. Son film arrive à point nommé, en 2021, alors que le sort des communautés autochtones et les injustices passées sont devenus des enjeux qui comptent et font la une des grands médias.
En salle ce vendredi, en version anglaise avec sous-titres ou en version française
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Beans
Tracey Deer
Avec Kiawenti : io Tarbell, Rainbow Dickerson, Paulina Alexis et Violah Beauvais
1 h 32
Beans | NOTRE CHOIX | De l'autre côté des barricades - La Presse
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