Grand événement de la cuvée cannoise, cette projection en compétition officielle de The French Dispatch, signé Wes Anderson. Sur le plan mondain, toute une affaire ! Une armada de vedettes prenait lundi la pose sur tapis rouge, de Benicio Del Toro à Frances McDormand, en passant par Tilda Swinton, Bill Murray, Adrien Brody, Timothée Chalamet, Mathieu Amalric et compagnie. Seule Léa Seydoux, déclarée positive à la COVID-19, brillait par son absence. Constellation tombée de l’espace pour atterrir sur notre coin de baie ? Joyeuse bande de copains en vacances ? C’est selon. À la porte des grands hôtels, les badauds se massaient pour apercevoir l’une ou l’autre de ces vedettes en attente de carrosses dorés vers le Palais des festivals.
Ni entrevues ni conférence de presse avait annoncé, grincheux, le réalisateur venu pourtant parader dans ses chics atours. C’était un peu louche, réflexion faite…
Tant d’encre avait coulé sur le dernier opus de l’Américain aux millions d’admirateurs. Le film devait déjà concourir l’an dernier pour la Palme d’or, mais le confinement transforma la fête 2020 en édition fantôme. Loyal au rendez-vous de la Côte d’Azur, le cinéaste de The Grand Budapest Hotel aura mis son dernier film en veilleuse douze mois pour lui en réserver la primeur. Entre-temps, ses fans trépignaient, les bandes-annonces émerveillaient, la rumeur de chef-d’œuvre circulait. Dangereux, ça !
Ce film, somptueux à l’œil, s’étouffe hélas dans son trop-plein et livre un portrait de la France pétri de lieux communs. Wes Anderson vient de rejoindre les rangs des grands cinéastes qui ne tiennent pas leurs promesses à Cannes cette année. On est déçus.
Précisons que cette comédie franco-américaine, hommage à mais aussi satire de la France éternelle, fut tournée en 2018 à Angoulême, cité phare de la bande dessinée, avant tout en studio pour tout dire, car le réalisateur maniaque pouvait y contrôler aisément le moindre détail. Dans cette ville fictive d’Ennui-sur-Blasé, au milieu du XXe siècle et au-delà, un magazine américain aux allures de New Yorker croque la France à travers mille clichés. C’est Bill Murray, à l’éternel point d’ironie dans le regard, qui joue le rédacteur en chef de la publication anglophone, implacable et allergique aux larmes.
Les mœurs culinaires, culturelles et contestataires françaises apparaissent ahurissantes à ces expatriés qui ne parlent d’ailleurs pas un mot de français, mais décrivent allègrement la faune locale. Ce qui n’empêche pas le film d’être bilingue, car les habitants du pays s’expriment. Différents articles du magazine anglophone, entre les années 1940 et 1970, prennent vie en plusieurs chapitres, art, politique et faits divers inclus. Comment peut-on être Français ? semblent demander le cinéaste texan et les journalistes de son film dans le sillage des Lettres persanes de Montesquieu.
Stylisme et fourre-tout
Immense styliste, Anderson livre ici une œuvre visuellement extraordinaire, avec des encarts animés, des segments en noir et blanc, d’autres en couleur, des cases sorties apparemment d’un album de Tintin, des plans éblouissants aux audaces perpétuelles. Le tout dans ladite cité imaginaire aux allures souvent féeriques.
Ce vivier d’histoires extravagantes entremêlées procure pourtant le vertige sans nous nourrir.
Résumer le scénario semble hasardeux. Il y a de tout, parfois du bon. Léa Seydoux apparaît impériale en gardienne de prison, muse d’un peintre assassin sous les barreaux (Benicio Del Toro, qui en impose), alors que le marché de l’art s’enflamme pour l’artiste violent et suicidaire qui purge sa peine. Une insurrection à la Mai 68 nous vaut des scènes de barricades et d’amourettes en fleur, avec Timothée Chalamet en joueur d’échecs militant et Frances McDormand en journaliste craquant pour ses charmes. Un grand chef cuisinier, qui ressemble au peintre Foujita, accepte de venir nourrir des preneurs d’otages en les empoisonnant aux radis. Mais rien ne vole très haut.
Après avoir puisé dans le gotha des plus fameux interprètes, Anderson en a réduit plusieurs aux caméos, Christoph Waltz, par exemple, qui surgit puis disparaît, comme Tilda Swinton. On oubliera vite ce qu’ils sont venus faire dans cette galère, sinon participer à un gros happening. Les interprètes trop nombreux, ayant accepté d’effectuer de la figuration ou presque pour vivre l’aventure aux côtés du génial Anderson, sont en général sous-utilisés à un point qui afflige. Cette mise en scène de haute voltige, ce montage coupé au scalpel, ce poème pour les yeux se contente de servir côté substance, la vision fantasmatique des Américains déconcertés par l’Hexagone.
Le style, c’est l’homme. Mais l’homme se contente parfois d’en mettre plein la vue, sans creuser un sillon scénaristique devenu peut-être superflu. Tout semble ici au service de la technique, y compris les interprètes, fragments d’un tout qui les englobe sans tirer leur suc.
Cette comédie flamboyante ne fait pas rire. Ce qui ne se pardonne guère. Mais devant l’immense travail du tournage, de l’animation, de la postproduction, devant la somme des énergies investies pour créer un univers aussi sophistiqué, on sort de la projection en soupirant devant le gâchis du contenu. Il aurait pu si aisément se voir évité.
Odile Tremblay est à Cannes à l’invitation du Festival.
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74e Festival de Cannes: la France aux mille clichés de Wes Anderson - Le Devoir
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