En 1927, le philosophe français Julien Benda faisait paraître un essai qui allait le rendre célèbre, La trahison des clercs.
Dans ce pamphlet, Benda accusait les intellectuels de son époque – tant ceux de gauche que ceux de droite – d’avoir abandonné le monde des idées pour embrasser des idéologies.
DE PENSEURS À SOLDATS
Les intellectuels, disait-il, sont des libres penseurs qui basent leurs opinions sur des faits, alors que les idéologues mettent leur sens critique et leur liberté de pensée et de parole au service d’un camp.
Ce ne sont pas de vrais libres penseurs, ce sont des soldats, qui attaquent toujours le camp d’en face et défendent toujours leur camp, même si celui-ci a tort.
« Les hommes dont la fonction est de défendre les valeurs éternelles et désintéressées, comme la justice et la raison, ont trahi cette fonction au profit d’intérêts pratiques », écrivait-il.
L’obligation première d’un intellectuel, disait Benda, n’est pas de faire de la politique, d’entrer dans « les ordres » et de défendre bêtement les intérêts de son parti ou de son camp, c’est d’être vigilant.
Tu ressentais une certaine sympathie pour l’idéologie communiste et tu apprends que le régime qu’il t’arrivait souvent de défendre publiquement envoie des milliers de personnes dans des camps de rééducation ?
Tu dénonces ce régime !
Tu es républicain et tu vois qu’un fou a pris le contrôle du parti que tu célébrais ?
Tu le dénonces !
Tu ne mets pas ton sens critique au service d’une idéologie, quelle qu’elle soit...
Bref, tu fais comme Camus, pas comme Sartre !
LA TENTATION DES EXTRÊMES
Où sont les vrais intellectuels, aujourd’hui ?
On a de plus en plus de soldats, et de moins en moins de gens qui pensent librement.
Voilà pourquoi les extrêmes montent. Autant à gauche qu’à droite.
Les idées extrémistes te libèrent de la terrible responsabilité de penser par toi-même. Comme les religions, les idéologies extrémistes, que ce soit le wokisme ou l’idéologie libertarienne, apportent des réponses toutes faites aux questions que tout citoyen se pose au cours de sa vie.
Pour les uns, le mot magique est « minorité ». Pour les autres, c’est « liberté ».
Tout, chaque décision qu’un État doit prendre, doit être jugé à la lumière de ce mot.
Les idéologues ne pensent pas. Ils ne réfléchissent pas. Ils croient.
Comme des curés.
Voici pourquoi Julien Benda disait qu’ils étaient des traîtres. Car ils trahissaient leur fonction première.
LES GARDIENS ONT ABDIQUÉ
Quatre-vingt-quinze ans après sa parution, l’essai de Benda est toujours aussi pertinent, aussi essentiel, aussi courageux.
Car notre époque ressemble beaucoup à l’époque où La trahison des clercs a été publié.
Le ciel des idées s’assombrit. Les nuages s’accumulent. De plus en plus de gens que l’on croyait intelligents et éclairés sont tentés par les sirènes de l’idéologie.
Les gardiens de la culture ont abdiqué. Les gardiens du savoir ont abdiqué.
L’université n’enseigne plus les échanges et les confrontations d’idées, mais la censure !
Ce n’est plus le savoir qui est important à l’université, c’est le ressenti ! L’émotion !
Bref, l’heure est grave.
Plus que jamais, il faut des gens qui n’ont pas peur de penser à contre-courant de leur camp.
La trahison des clercs - Le Journal de Montréal
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