Plus on est de fous, plus on pleure
Pour la toute dernière émission de Plus on est de fous, plus on lit, Marie-Louise Arsenault et son équipe ont eu la bonne idée de convier quelques centaines d’inconditionnels au restaurant Robin des Bois, en plein cœur du parc La Fontaine. J’y étais. Laissez-moi vous dire qu’il y avait de l’électricité dans l’air. Et aussi beaucoup de tristesse.
Comme cette dernière avait lieu un vendredi, on n’a pas dérogé à la formule cabaret. Les performances des comédiens et des chroniqueurs ont toutefois tourné autour de la fin de cette émission. Tout en faisant grand usage de mouchoirs, Marie-Louise a, malgré tout, beaucoup ri des surprises que ses camarades lui ont réservées.
La première était de taille : un message de Justin Trudeau. « Durant 11 belles saisons, Plus on est de fous, plus on lit a inspiré des millions de Canadiens à explorer l’univers de la littérature canadienne, à écouter des auteurs qui nous livrent leur réalité et à voir le monde à travers les yeux de Marie-Louise Arsenault. »
Si le ton semblait provenir de la Minute du patrimoine, ce geste a semblé impressionner tout le monde, y compris l’animatrice. De bons mots du premier ministre du Canada, ça ne se refuse pas.
Durant les deux heures de l’émission, Émilie Bibeau, Olivier Morin et Catherine Trudeau, comédiens en résidence des cabarets, ont lu avec brio des extraits de quelques moments forts des 11 dernières saisons dans lesquels il était question de sexe ou de l’écriture sous l’influence de certaines substances.
Ils ont aussi reproduit des instants « psychotroniques » vécus par l’animatrice. L’entrevue avec Katherine Pancol qui, en plus d’être courte en bouche, contredisait chacune des affirmations de Marie-Louise Arsenault (le sport préféré de certaines personnalités françaises), demeure un morceau d’anthologie.
Puis, les auteurs Simon Boulerice, Fanny Britt, Manal Drissi et Mani Soleymanlou ont livré des billets dans lesquels ils ont gentiment passé à la rôtissoire l’animatrice, mais surtout dit tout leur amour. Le moment fort de l’émission appartient à Mani Soleymanlou, qui a créé un éloge funèbre sur l’Adagio d’Albinoni. De la haute voltige !
Ce texte, brillant et bouleversant, s’est conclu sur cette phrase : « Nous perdons plus qu’une émission de radio, nous perdons un espace pour la résistance. » Le public présent l’a alors ovationné.
La présence musicale était assurée par la formation Valaire, en plus de FouKi et de Jordan Officer. Ce dernier a offert une version très maîtrisée de Blue Moon of Kentucky. Précisons que Marie-Louise Arsenault est une grande admiratrice d’Elvis Presley, celui des premières années de gloire.
J’ai assisté à cette dernière en tant que chroniqueur, mais aussi en tant que collaborateur de cette émission. J’ai eu la chance de faire partie du Club de lecture de Plus on est de fous, plus on lit durant de nombreuses années. Tous les mois, j’allais en studio faire partager mes émotions ou mes déceptions au sujet d’un livre avec des gens extraordinaires comme Anne-Marie Cadieux, Biz, Sophie Lorain, Émilie Dubreuil, Luis Clavis, Geneviève Guérard ou Ludmilla Proujanskaïa. Ces discussions animées vont beaucoup me manquer.
Une chose m’a frappé en regardant le public qui s’était déplacé pour cette finale, et c’est l’extrême variété des auditeurs. En témoigne cet homme arrivé à la course et qui s’est installé derrière moi. Couvert de tatouages, il semblait sortir d’un chantier de construction. C’était le cas. Je me suis entretenu avec lui.
Jean-Louis Séguin effectuait des travaux de rénovation non loin du parc La Fontaine quand il a entendu Marie-Louise dire qu’il restait quelques places. « J’ai dit à mes gars qu’il fallait que je vienne. » Ce gaillard était fan de l’émission au point de l’imposer tous les jours à ses employés. « Au début, ils me trouvaient fatigant avec ça, mais ils ont fini par l’adopter et l’aimer. »
J’écoutais Jean-Louis me parler, je regardais la brillance de son regard et je me disais que la grande réussite de Marie-Louise Arsenault et de son équipe était sous mes yeux. Parler de Proust ou de Patrick Senécal, expliquer l’origine de mots qui émanent de l’actualité et organiser des combats de livres tout en captivant des gars qui installent de la céramique ou tirent des joints, voilà un véritable tour de force.
Bravo, madame !
Joël le bienheureux
L’autre grand évènement radiophonique du week-end fut évidemment le départ de Joël Le Bigot et la fin de son émission Samedi et rien d’autre. Lui aussi a eu droit aux mots sentis des membres de son équipe. Tous ont eu la chance de lui dire à quel point ils ont eu un énorme plaisir à travailler avec lui.
Les plus jeunes ont confié comment ils avaient eu la trouille de se retrouver devant celui qui avait toute une « réputation ». Mais au lieu de l’homme désagréable, directif et impitoyable qu’on leur avait décrit, ils ont rencontré quelqu’un d’accueillant et de bienveillant. Joël Le Bigot en a profité pour dire que les bébés de ses jeunes camarades ont été « une grande joie dans sa vie ».
Même s’il a affirmé que les quatre heures de cette dernière émission furent un « calvaire » et que l’expérience avait été « extrêmement difficile », Joël Le Bigot a répondu aux questions de ses collègues lors d’un long entretien. Il l’a fait avec le même aplomb et la même franchise qu’on a pu sentir lors de sa rencontre avec Paul Arcand quelques jours plus tôt.
Devant le « roi des ondes », Joël Le Bigot a affirmé qu’il n’avait subi aucune pression de ses patrons pour partir. « Si ce n’était pas cette année, ça serait l’année prochaine. Si ce n’est pas l’année prochaine, ça serait dans deux ans. Mais ça ne peut pas durer éternellement. Je n’ai pas senti de pression, mais je n’ai pas senti non plus une retenue fabuleuse. »
Sur la liberté d’expression dont il a pu jouir durant toutes ces années, il a souligné que son statut de « dernier animateur syndiqué » l’avait parfois protégé. Il a ajouté qu’il était toutefois conscient qu’il y avait des « pressions » qui venaient d’en haut.
Avant d’évoquer la politique de « multiculturalisme » du gouvernement fédéral actuel, il est revenu sur une entrevue qu’il a réalisée avec Stéphane Dion avant le premier mandat de Justin Trudeau. « Il était question que Radio-Canada demande 200 ou 300 millions de plus. Stéphane Dion avait dit oui, mais qu’il faudrait que Radio-Canada montre le Canada autrement qu’il le fait. Or, qu’est-ce que vous voyez en ce moment ? Vous voyez que les nouvelles, qui sont de la même longueur, vous montrent beaucoup plus Toronto que l’Afghanistan. »
Permettez-moi d’être en total désaccord avec Le Bigot. Jamais la télé et la radio de Radio-Canada n’ont autant couvert, et aussi bien, l’actualité internationale qu’aujourd’hui.
Au début de son émission, Le Bigot a fait entendre Le ciel, la terre et l’eau, chanson-thème du film Alexandre le bienheureux, avec Philippe Noiret, un acteur que l’animateur a toujours beaucoup aimé.
Dans cet air magnifique, Isabelle Aubret dit :
« L’oiseau dans la clairière, la clairière bleue
Siffle pour moi les jours heureux
Sa chanson plane là-haut dans le ciel
Entre la terre et le soleil »
Des jours heureux, c’est ce qu’on souhaite à celui qui a tant donné à la radio.
L’érudit part en bon prince
Contrairement à ses camarades de Radio-Canada, Paul Houde n’a pas choisi de quitter son émission du week-end au 98,5 FM. Ses patrons lui ont signifié que ça s’arrêtait là pour lui il y a quelques semaines.
Ce départ est sans doute le plus étonnant de cette fin de saison. Les cotes d’écoute allaient en grandissant, l’émission était bien huilée. Plutôt que d’apporter des changements au concept avec l’équipe existante, la direction a décidé de faire table rase.
Cette décision serait liée à des objectifs de diversité, m’a-t-on dit en coulisses. Il faut dire que l’équipe d’animation du 98,5 FM est majoritairement masculine.
Paul Houde a signé ses deux dernières émissions d’une main de maître. Un peu comme Joël Le Bigot, son concurrent direct sur la chaîne publique, il a contrôlé ses émotions jusqu’à la fin, sauf au moment où son petit-fils Lenny lui a dit quelques mots au téléphone.
Dans les dernières secondes de l’émission de dimanche, Paul Houde a été à la hauteur de la réputation de gentleman qu’il a toujours eue. Il a souhaité « sincèrement » bonne chance à l’animatrice qui va lui succéder l’automne prochain, Elisabeth Crête. « Vous partez de haut, sachez garder le sommet », a-t-il ajouté à la blague.
Le départ de Paul Houde entraîne également celui de Thérèse Parisien. Nous allons la retrouver à l’automne dans l’émission C’est juste de la TV. Quant à Paul Houde, j’espère retrouver son humour pince-sans-rire et son érudition très bientôt à la télé ou à la radio.
Un record de fins et de départs
On l’a beaucoup répété ces dernières semaines, la saison qui s’achève bat des records en matière de départs et de changements dans les fauteuils d’animateurs et animatrices.
Les derniers jours ont signé la fin d’On dira tout ce qu’on voudra, animée par Rebecca Makonnen sur les ondes d’ICI Première. L’animatrice proposera un nouveau rendez-vous à l’automne, le dimanche à 18 h. Ce fut également la fin de l’émission Du côté de chez Catherine, animée par Catherine Perrin. On nous dit qu’on lui confiera un nouveau mandat à compter du mois d’août.
La grande dame de la musique classique, Sylvia L’Écuyer, animatrice de Place à l’opéra, sur ICI Musique, a accroché son micro après 37 ans de carrière. On a rendu hommage à cette passionnée dotée d’une voix d’hydromel lors d’une émission présentée samedi, à 13 h.
Pierre Therrien a présenté la dernière édition du Blues du terrien, toujours sur ICI Musique, vendredi dernier. Ce retraité de 64 ans en a profité pour lever le voile sur quelques pans de sa vie. Ainsi, on a appris qu’à l’âge de 10 ans, il a été l’assistant de Michel le magicien dans La boîte à surprise.
Jacques Fabi, surnommé l’oiseau de nuit du 98,5 FM, a fermé son micro à 3 h, dans la nuit de jeudi à vendredi, après 45 ans de carrière. Il a eu l’honneur de recevoir les bons mots de François Legault. Dans une vidéo publiée il y a quelques jours, le premier ministre l’a remercié de l’avoir « réconforté » lorsqu’il l’écoutait la nuit.
Jacques Fabi sera remplacé à l’automne par Louis-Philippe Guy. Quant à Sylvain Ménard, il conserve Quart de nuit, les week-ends.
On entend souvent les plus vieux dire au sujet d’une émission de radio ou de télé aujourd’hui disparue : « Ah, mon Dieu que c’était bon », avec de la nostalgie plein la gorge. Nous qui n’avons pas vécu ces moments d’émotion ne comprenons pas toujours ces petits chagrins.
Je sens que ça sera bientôt à nous de déclarer devant des plus jeunes : « Mon Dieu que c’était bon, cette émission ! »
Fréquence émotion | La Presse - La Presse
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