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Friday, April 22, 2022

Noémie dit oui | Regard sur l'enfer de la prostitution juvénile - La Presse

La réalisatrice Geneviève Albert espère que son premier long métrage, Noémie dit oui, « pourra toucher et ébranler les gens, mais aussi ouvrir un dialogue nouveau sur la prostitution juvénile ». Présenté en ouverture des Rendez-vous Québec Cinéma, le film, qui sortira en salle le 29 avril, pose un regard sur l’enfer que traverse le personnage qu’interprète la jeune Kelly Depeault lorsqu’elle accepte de devenir escorte.

Publié à 7h00
Marissa Groguhé
Marissa Groguhé La Presse

« C’est une grande chance d’ouvrir les Rendez-vous avec mon premier long métrage, c’est très émouvant », dit la réalisatrice Geneviève Albert, rencontrée la veille de la présentation à la Cinémathèque québécoise. « C’est un choix courageux de choisir mon film en ouverture, ce n’est pas un film facile. »

Noémie dit oui risque de provoquer chez ceux qui le verront toute une gamme d’émotions, de l’indignation à la tristesse en passant par un profond dégoût et de la compassion. « Ça me fait plaisir quand les gens disent que le film les a fait pleurer, confie Geneviève Albert. Pour moi, c’est la réaction naturelle à avoir, de pleurer. J’ai bon espoir que les gens ne vont pas sortir de ce film-là avec un sentiment d’indifférence. »

Noémie est une adolescente de 15 ans qui vit depuis deux ans en centre jeunesse. Quand il devient évident qu’elle ne pourra pas rentrer chez sa mère, elle décide de s’enfuir. Dans le monde qui l’accueille, l’enfer l’attend. Elle est manipulée et accepte de devenir escorte pendant le Grand Prix de Montréal. Le long métrage raconte les journées de violence, de solitude, d’angoisse et de détresse après que Noémie eut dit oui à la prostitution.

Collé à la réalité

Geneviève Albert et Kelly Depeault ont cette même perception du film : il s’agit d’une dénonciation. « C’est tellement plus proche de nous qu’on le pense et je suis contente d’avoir fait un film qui met la réalité dans ta face, qui va permettre aux gens d’avoir accès à ce message-là », dit Kelly Depeault, révélation de l’année au dernier Gala Québec Cinéma pour son rôle dans La déesse des mouches à feu.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La réalisatrice Geneviève Albert

« Je suis sensible à la prostitution depuis mon adolescence, dit quant à elle Geneviève Albert. À partir du moment où j’ai pris connaissance de cette réalité, de cette transaction où on achète le corps de quelqu’un pour en disposer sexuellement à sa guise… Je ne comprenais pas à l’époque et je ne comprends toujours pas. »

C’est un sujet qui est tellement fort, qui m’habite tellement, que ça s’est imposé comme thématique de mon premier long métrage de fiction.

Geneviève Albert, réalisatrice

Mais pour traiter d’un tel sujet de la bonne façon, « pour que des femmes qui ont vécu ça le regardent et se disent que ça ressemble à leur réalité », il fallait d’abord faire ses devoirs. « J’ai fait énormément de recherches, parce que ce n’est pas mon vécu, indique la réalisatrice. Pour moi, c’était une façon d’honorer et de respecter les femmes et les personnes qui sont passées par la prostitution. » Elle a rencontré des femmes qui étaient adolescentes lorsqu’elles sont passées par là, mais a aussi parlé à un proxénète de 17 ans « qui [l’a] beaucoup inspirée pour écrire le personnage de Zach [le proxénète de Noémie] ».

D’abord non, puis oui

Geneviève Albert a offert le rôle à Kelly Depeault après l’avoir vue dans La déesse des mouches à feu, d’Anaïs Barbeau-Lavalette. Son interprétation du personnage de Catherine a été « une révélation » pour la réalisatrice de Noémie dit oui. « C’était la meilleure actrice pour incarner ce rôle-là, d’abord parce qu’elle est extrêmement juste. Ensuite, parce qu’elle a quelque chose qui ne relève même pas du talent, qui est une présence très, très forte à l’écran. Elle a une puissance vraiment spectaculaire. On a tous des naturels et Kelly, elle, a une énergie où il y a de la candeur, mais aussi une faille. Ça ne s’invente pas. Tu l’as ou tu ne l’as pas. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

L’actrice Kelly Depeault

C’était elle, donc. Dès le départ. Mais Kelly a d’abord refusé le rôle. « J’ai lu le scénario et je l’ai trouvé vraiment hard parce que ce n’était pas expliqué comment elle allait tourner, explique l’actrice. Mais on a pris un café et elle m’a expliqué. »

Les filles ne sont pas sexualisées, il n’y a pas de scènes gratuites, c’est dans le respect de mon image corporelle au grand écran et l’attention est mise sur les hommes, sur les clients.

Kelly Depeault, actrice

Elle a finalement accepté. Elle a ensuite plongé, l’été dernier, dans ce rôle si complexe et rude. « Je trouve qu’en tant que femme, on a toutes ces peurs-là [d’agression] dans le cerveau, dans le corps, tout le temps. Alors c’est un chemin assez accessible pour l’imaginaire », poursuit-elle. C’est ainsi qu’elle a pu se glisser dans la peau de cette adolescente qui subit des violences indicibles.

« J’étais consciente que moi, je n’allais pas le vivre pour vrai. Et j’étais aussi consciente qu’il y avait des filles qui vivaient ça pour vrai pendant que moi, je tournais, ajoute Kelly Depeault. Pour moi, c’était important de le faire, de tenir ce rôle respectueusement. »

Se dissocier de soi

« Les clients sont les grands invisibles dans la prostitution, pourtant, sans clients, il n’y a pas de prostitution, lance Geneviève Albert. J’ai décidé que j’allais leur donner une visibilité dans mon film. On voit leurs façons d’agir. »

La façon de tourner ce long métrage était claire dans l’esprit de la réalisatrice. Hors de question de tomber dans le cliché, le sensationnalisme, la nudité ou la violence gratuite à l’écran, explique Geneviève Albert. Par exemple : dans aucune des nombreuses scènes sexuelles entre un client et Noémie on ne voit les deux personnes dans le même plan.

Ça insinuerait une relation entre deux personnes, mais pour moi, ce n’est pas ça. C’est un acte de domination, un rapport de pouvoir. Alors je les ai séparés.

Geneviève Albert, réalisatrice

Ce procédé est d’ailleurs une des choses qui ont rassuré Kelly dans l’idée de se lancer dans ce film, nous dit-elle. Alors que son corps est devenu l’outil principal d’une performance où elle devait prétendre qu’il était violenté, l’actrice s’est « dissociée » de sa propre personne pendant certaines scènes. Comme pour se protéger.

Mais le tournage a laissé des marques sur la psyché de la comédienne. Elle en parle longuement dans une capsule conçue par la réalisatrice Kitana Zéphir, tournée par les productions Mus.e.s. Ce rôle lui a fait perdre la relation qu’elle avait avec sa nudité, lui a fait redouter le sexe, le toucher des autres. Il a été difficile pour Kelly de faire sortir Noémie de son corps et de son esprit. Lorsqu’on lui demande si elle est à l’aise d’en discuter, la comédienne de bientôt 20 ans décline doucement. « La capsule avec Mus.e.s, pour moi, ça a clos tout ça. Ça a fait du bien d’en parler de manière précise, mais c’est un chapitre que j’ai fermé. »

À la veille de la sortie du film, Kelly Depeault se dit heureuse de « savoir que des femmes qui vivent ça pour vrai puissent avoir un film qui montre ce qui se passe ». « J’ai hâte que le film puisse bouger la société un peu », dit-elle. Car c’est surtout pour ça qu’existe Noémie dit oui.

Noémie dit oui sort en salle le vendredi 29 avril.

Les Rendez-Vous Québec Cinéma parcourront cinq régions du Québec en compagnie des membres de l’équipe du film afin de le présenter au public. Ils seront à Gatineau le 25 avril, à Québec le 26 avril, à Sherbrooke le 27 avril, ainsi qu’à Trois-Rivières le 28 avril.

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