La diffusion sans avertissement du documentaire La parfaite victime par ICI Télé en décembre a enfreint les Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada, a jugé lundi l’ombudsman Pierre Champoux. Le diffuseur public aurait dû prévenir les téléspectateurs de la présence d’« erreurs de fait » et préciser qu’il s’agissait d’un « documentaire d’opinion », selon lui.
« Si les réalisatrices [Monic Néron et Émilie Perreault] avaient parfaitement le droit de ne pas corriger leur documentaire, je crois que Radio-Canada avait la responsabilité d’en prévenir l’auditoire, surtout que cinq mois s’étaient écoulés entre la première du film et sa diffusion sur ICI Télé », note M. Champoux dans une analyse détaillée publiée sur le site du diffuseur public.
Cette décision découle d’une plainte déposée le 6 janvier par Me Michel LeBrun, président de l’Association québécoise des avocats et avocates de la défense, au nom de trois autres regroupements du milieu. Ces derniers avaient déjà demandé à Radio-Canada de retirer le documentaire de sa programmation quelques jours avant sa diffusion le 7 décembre, mais leur requête avait été rejetée.
Réalisé par les journalistes Monic Néron et Émilie Perreault, La parfaite victime lève le voile sur les obstacles que rencontrent les victimes d’agressions sexuelles lorsqu’elles décident de porter plainte. En plus de donner la parole aux victimes, les journalistes interrogent des avocats criminalistes, des procureurs de la Couronne et des juges pour expliquer au mieux le fonctionnement du système judiciaire en la matière.
De l’avis des plaignants, le documentaire véhicule plusieurs « faussetés ». Ils estiment de plus qu’il donne une « vision trompeuse de la justice » et « décourage les victimes à porter plaintes ».
Ils donnent en exemple le fait qu’une « simple recherche sur Internet » permet de contredire l’affirmation de l’avocat de la défense Patrick Davis — interrogé à la caméra —, qui assure n’avoir « perdu aucune cause d’agression sexuelle ». « J’ai moi-même recensé quatre décisions publiées dans lesquelles des accusations d’agressions sexuelles ont été retenues malgré les représentations contraires de Me Davis », écrit dans sa plainte Me Michel LeBrun.
Les associations critiquent aussi l’intervention de Claude F. Archambault, « un ancien avocat radié du barreau depuis plus de dix ans pour de multiples infractions reliées à la malhonnêteté », assurant que les « pratiques d’intimidation » contre les victimes décrites par « ce triste personnage » n’ont plus lieu d’être aujourd’hui et sont d’ailleurs « interdites ».
Dans sa décision, l’ombudsman souligne que La parfaite victime n’est pas une production du Service de l’information de Radio-Canada, et n’a donc pas à respecter les principes d’impartialité et d’intégrité imposés par les NPJ. Le documentaire doit par contre respecter les principes d’exactitude, d’équilibre et d’équité.
Or, preuve à l’appui, les propos rapportés de Me Patrick Davis sont en effet inexacts. « Une telle fanfaronnade ne peut que démoraliser, voire décourager quiconque de porter plainte. Dès lors qu’on la sait fausse, il m’apparaît important de le préciser », écrit M. Champoux.
Il évoque un autre passage inexact du documentaire, lorsqu’on affirme que seulement 20 % des plaintes sont autorisées par le DPCP. « Je n’ai aucune raison de douter de la bonne foi de Mmes Perreault et Néron lorsqu’elles expliquent avoir calculé ce ratio à partir de données obtenues par la loi d’accès à l’information, devant le mutisme du DPCP. Mais je ne saurais non plus mettre en doute les données du DPCP (taux de 70 %) dévoilées au lendemain de la première du film. » Le diffuseur public avait là encore la « responsabilité de prévenir l’auditoire » de cette inexactitude.
L’ombudsman estime par contre que la présence de Claude F. Archambault « ne constitue pas une raison suffisante pour ne pas diffuser le documentaire ». « Ses propos sont, au mieux, discutables mais ils demeurent un reflet d’une époque, espérons-le, révolue. »
« Malgré ces imperfections, La parfaite victime est un documentaire dont la diffusion sert l’intérêt public » poursuit M. Champoux. Il importait toutefois de préciser clairement qu’il s’agissait d’un « documentaire d’opinion », en « gage d’honnêteté et de transparence envers l’auditoire ».
L’ombudsman encourage la direction à ajouter un correctif sur la page d’ICI TOU.TV qui héberge présentement le documentaire.
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« La parfaite victime » enfreint les normes journalistiques de Radio-Canada, conclut l'ombudsman - Le Devoir
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