Safia Nolin a connu, on le devine, une dernière année mouvementée débouchant aujourd’hui sur la parution d’un minialbum intitulé SEUM. Le mot, d’origine arabe, signifie littéralement « venin » et exprime une colère qui n’est jamais si apparente dans les superbes nouvelles chansons de l’interprète à la voix plaintive et douce. Offertes en version électrique et acoustique, ces chansons sont également le fruit d’une longue réflexion sur le métier qu’elle exerce depuis la sortie de son premier album Limoilou en 2015.
« Tu ne seras tellement pas d’accord avec moi, mais à mes yeux, le roi du grunge, c’était Elliott Smith », le regretté auteur-compositeur-interprète indie folk et rock américain dont l’œuvre, aujourd’hui culte, était imbibée d’alcool et plombée par sa dépression. « Lui, il était détruit. J’écoute certaines de ses chansons et j’entends qu’il exprime sa colère en tristesse », explique Safia pour illustrer comment sa propre colère traverse ses nouvelles chansons.
En amont de la sortie de SEUM, on a évoqué le fait qu’il s’agissait du projet grunge de Safia Nolin, et ce n’est pas faux. Elle nous a habitués aux guitares acoustiques, la voilà entourée d’un band, guitares branchées dans des pédales d’effets, des sonorités qui lui vont à merveille. Le EP est divisé en deux parties, Sunset (électrique, enregistrée en studio) et Sunrise (acoustique, enregistrée dans des parcs, dans une ruelle), mais ces versions rock ne sont pas choquantes : la personnalité taciturne et à fleur de peau de la musicienne résonne plus fort que les accords de guitares. À tout le moins, celles-ci rehaussent l’amertume qui se dégage des nouvelles chansons, comme le sel dans la plaie.
« La colère m’a habitée beaucoup ces dernières années. La frustration, le sentiment d’injustice — pas tant par rapport à moi personnellement que par rapport à plein de choses. J’en ai ressenti, de la colère. SEUM, c’est une façon de dire que j’étais fâchée. »
On le serait pour moins. La quantité de messages haineux qu’elle reçoit par le truchement des réseaux sociaux a été décuplée après qu’elle a dénoncé son agresseuse à l’été 2020. La musicienne persiste et signe sur Instagram, et tant pis pour les haters : « Les réseaux sociaux sont pour moi la source de tellement de bonnes choses, mais c’est comme si la source me donnait des décharges électriques parfois, quand ils deviennent le canal par lequel les gens m’envoient de la marde. C’est pour ça que je m’en éloigne à l’occasion. Or, il y a deux raisons pour lesquelles je ne ferme pas mes réseaux sociaux : de un, je ne veux pas que les gens-là gagnent. C’est ma plateforme, après tout. Et la triste réalité, c’est que c’est aujourd’hui pas mal ma seule plateforme. »
Et ça, aussi, l’a mise en colère. La sortie de Dans le noir en 2018 a été vécue comme un échec, aussi bon fut ce second disque « Ça a été tough, témoigne Safia. Je n’avais jamais rien fait d’aussi personnel de ma vie, j’avais plein d’attentes, ce qui me semble normal après toute l’exposition que j’avais reçue sur le premier album, mais ça ne s’est pas passé. Ça a été difficile pour moi — c’était un problème tellement niaiseux par rapport à tout ce qui se passe dans le monde, mais à ce moment-là, ça m’avait démolie. Je ne suis pas la seule à avoir été éreintée par le deuxième album, mais pour moi, ça a été particulier, parce que j’ai été projetée au-devant de la scène super vite. »
J’essaie de me retrouver dans ce système dans lequel je suis arrivée jeune, verte,
sans expérience. J’ai évolué depuis et j’ai maintenant l’impression que ce système ne fonctionne pas avec moi.
« À partir de ce moment-là, j’ai fait beaucoup d’introspection, j’ai réfléchi à la notion de succès. Pourquoi ça m’affecte autant ? Pourquoi je me compare toujours aux autres, pourquoi j’ai moins de succès que les autres ? » Remise en question du métier, de ses aspirations, de la manière dont elle voulait garder contact avec les fans. La sortie en 2019 de la chanson Claire, qui n’avait pas été retenue pour Dans le noir, a servi de déclic.
« J’en ai fait un clip qui a récolté plus de 100 000 visionnements sur YouTube. Si je ne l’avais pas sortie, elle serait morte, disparue. » La chanson peut vivre hors du carcan de l’album, un format que Safia juge aujourd’hui « désuet » : depuis son deuxième album, la musicienne a lancé un EP de reprises (Reprises Vol. 2), un mini-album en anglais (xX3m0 $0ng$ 2 $!nG @L0nG 2Xx), et aujourd’hui les chansons, versions acoustiques et électriques, de SEUM. « J’aimerais sortir mes chansons quand ça me tente, à ma manière. Mais c’est dur, parce que le système ne fonctionne pas comme ça. C’est difficile de booker une tournée si t’as pas d’album, alors j’ai choisi de faire une tournée des bars spectacles. »
« J’essaie de me retrouver dans ce système dans lequel je suis arrivée jeune, verte, sans expérience, abonde Safia. J’ai évolué depuis et j’ai maintenant l’impression que ce système ne fonctionne pas avec moi. Le remettre en question, c’est un challenge, même si c’est risqué, plus que de retomber dans le cycle de planifier un album, demander des subventions, organiser la tournée. Je ne veux plus ça, je veux juste être accessible. Les billets pour mes concerts sont à 27 $, mais à l’avenir, j’aimerais qu’ils soient encore moins chers. Je veux juste que ce soit vrai et authentique, même si je ne fais pas la piasse avec ça. Je veux gagner ma vie, simplement, et vivre des émotions vraies. »
N’attendez pas de voir quel t-shirt elle portera au prochain gala de l’ADISQ, elle n’y sera pas. « J’ai demandé à ma maison de disque d’arrêter de m’inscrire au gala. Je n’ai rien contre, quand mes amis gagnent un trophée, je suis heureuse pour eux, vraiment. Mais moi, je ne fitte pas là-dedans. Ça ne me fait pas de bien. Au bout du compte, ce qui m’intéresse le plus, c’est de me sentir près de ceux qui écoutent et apprécient ma musique plutôt que de recevoir un autre trophée. J’ai l’air vraiment cynique, mais je ne suis pas amère par rapport à tout ça. »
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Quand Safia Nolin se fâche - Le Devoir
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